Comprendre les anévrismes cérébraux non rompus : Étude de cas et guide à l’intention du patient. C40

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Ce guide complet aborde les anévrismes intracrâniens non rompus (AICNR), des dilatations fragiles des artères cérébrales qui touchent environ 3,2 % de la population. Le risque de rupture dépend principalement de la taille et de la localisation de l’anévrisme, ainsi que de facteurs individuels comme l’hypertension artérielle ou des antécédents tabagiques. La prise en charge repose sur une surveillance régulière pour les lésions de petite taille et à faible risque, tandis qu’un traitement actif est envisagé pour les anévrismes plus volumineux ou à risque élevé. L’article présente l’ensemble des options thérapeutiques disponibles, depuis la simple surveillance jusqu’aux interventions chirurgicales et endovasculaires, afin d’éclairer les décisions médicales partagées entre patients et médecins.

Comprendre les anévrismes cérébraux non rompus : guide complet pour le patient

Table des matières

Le problème clinique

Les anévrismes intracrâniens sont des dilatations anormales ou des zones de fragilité sur les parois des artères cérébrales. Ils représentent la principale cause d’hémorragie sous-arachnoïdienne non traumatique, une forme d’hémorragie intracrânienne associée à une mortalité élevée. La détection précoce et la prise en charge des anévrismes intracrâniens non rompus (AINR) revêtent donc une importance cruciale pour la sécurité des patients.

Une vaste revue systématique regroupant 68 études menées dans 21 pays, incluant 94 912 patients, a établi que la prévalence globale des AINR est d’environ 3,2 % dans la population générale sans autre pathologie. Cette prévalence est plus élevée chez certains groupes, notamment les femmes, les personnes de 30 ans et plus (avec un pic entre 50 et 59 ans), et celles ayant des antécédents familiaux d’AINR, d’hémorragie sous-arachnoïdienne, d’hypertension ou de polykystose rénale autosomique dominante.

Environ 90 % de ces anévrismes sont de type sacciforme (en forme de sac) et se forment généralement au niveau des bifurcations artérielles, en particulier au niveau de l’artère carotide interne, des artères communicantes antérieure et postérieure, et de l’artère cérébrale moyenne. Dans la circulation postérieure (arrière du cerveau), ils surviennent souvent à la bifurcation de l’artère basilaire et sur les branches des artères cérébelleuses. Jusqu’à 20 % des patients porteurs d’un AINR présentent des anévrismes multiples.

Facteurs de risque de formation d'anévrisme

Les facteurs de risque de développement d’anévrismes cérébraux se divisent en modifiables et non modifiables. Leur compréhension est essentielle pour la prévention et la gestion.

Facteurs de risque modifiables :

  • Tabagisme : Une étude cas-témoins portant sur 206 patients avec AINR et 574 témoins a identifié le tabagisme comme un facteur de risque indépendant
  • Hypertension artérielle : La même étude a établi l’hypertension comme un autre facteur de risque indépendant
  • Consommation excessive d’alcool : Peut également favoriser la survenue d’AINR

Il est à noter que des recherches ont montré que l’hypercholestérolémie (potentiellement en raison de l’usage de statines) et une activité physique régulière étaient associées à une réduction du risque de formation d’anévrisme. Une étude cas-témoins multicentrique incluant 113 paires appariées a démontré un effet synergique des facteurs de risque : les femmes fumeuses présentaient un risque quadruple, tandis que les femmes fumeuses hypertendues avaient un risque septuple par rapport aux femmes non fumeuses normotendues.

Facteurs de risque non modifiables :

  • Sexe féminin : Les femmes ont un risque environ deux fois plus élevé que les hommes (ratio 2:1), surtout après 50 ans, possiblement en raison de facteurs hormonaux
  • Âge avancé : Le risque augmente avec l’âge, particulièrement après 30 ans
  • Prédisposition génétique : Les antécédents familiaux accroissent significativement le risque

Une large revue systématique et méta-analyse portant sur 116 570 patients a identifié des variations génétiques spécifiques (CDK2NB, EDNRA et SOX17) contribuant à la formation d’anévrismes. Ces gènes sont impliqués dans la régulation du cycle cellulaire, la prolifération des cellules musculaires lisses vasculaires et le maintien de l’intégrité des vaisseaux sanguins.

Certaines affections héréditaires augmentent également le risque, notamment la polykystose rénale autosomique dominante, la coarctation de l’aorte, le syndrome d’Ehlers-Danlos, l’aldostéronisme rémissible par les glucocorticoides, la maladie de moyamoya et les anévrismes de l’aorte thoracique. Des antécédents familiaux d’AINR ou d’hémorragie sous-arachnoïdienne multiplient le risque de formation d’anévrisme par 3,64 et augmentent le risque de rupture par 2,5. Ce risque peut atteindre un facteur 17 chez les fumeurs hypertendus.

Histoire naturelle et risque de rupture

Comprendre l’évolution naturelle des anévrismes non rompus est fondamental pour orienter les décisions thérapeutiques. Toutefois, prédire avec exactitude quels anévrismes vont se rompre reste difficile, les données à long terme étant limitées.

Les principaux facteurs augmentant le risque de rupture incluent :

  • Sexe féminin
  • Hypertension
  • Tabagisme
  • Grande taille de l’anévrisme (≥7 mm)
  • Forme irrégulière ou présence d’un « sac fille » (petite excroissance)
  • Anévrismes multiples
  • Localisation sur l’artère carotide interne ou l’artère basilaire
  • Malformations artério-veineuses associées

Les personnes ayant des antécédents familiaux d’AINR ou d’hémorragie sous-arachnoïdienne ont tendance à présenter une rupture pour des tailles d’anévrisme plus petites et à un âge plus jeune, souvent avec un pronostic moins favorable que celles atteintes d’anévrismes sporadiques.

Imagerie diagnostique

Les AINR sont généralement diagnostiqués par angioscanner (angio-TDM) ou angio-IRM (ARM). Ces examens sont souvent réalisés de façon fortuite lors du dépistage de patients à haut risque ou lors de l’évaluation de symptômes tels que des céphalées chroniques, des vertiges, des troubles visuels ou des signes neurologiques.

L’angio-TDM et l’ARM sont privilégiés pour le dépistage en raison de leur haute sensibilité et de leur caractère non invasif. L’angiographie par soustraction digitale demeure l’examen de référence pour une imagerie détaillée, offrant une visualisation optimale des caractéristiques de l’anévrisme, permettant de détecter de très petits anévrismes et facilitant la planification thérapeutique. Elle est généralement réservée aux cas de forte suspicion clinique malgré des résultats normaux à l’angio-TDM et à l’ARM, ou en préparation d’un traitement.

Les patients devant subir ces examens doivent être évalués quant à d’éventuelles contre-indications, comme le risque de néphropathie induite par les produits de contraste, et informés des effets indésirables possibles, notamment l’exposition aux rayonnements (avec l’angio-TDM), les effets néphrotoxiques, et les complications rares de l’angiographie par soustraction digitale telles que les événements thromboemboliques, l’infection ou les lésions vasculaires.

Évaluation du risque et décisions thérapeutiques

La prise en charge des AINR nécessite une approche multidisciplinaire et une décision partagée entre patients et soignants. Plusieurs systèmes de score ont été développés pour évaluer le risque de rupture et orienter les choix thérapeutiques.

Le score PHASES (Population, Hypertension, Âge, Taille de l’anévrisme, Antécédent d’hémorragie sous-arachnoïdienne, et Site de l’anévrisme) a été élaboré à partir d’une méta-analyse de six études de cohorte prospectives incluant 10 272 AINR chez 8 382 patients suivis pendant 1 à 21 ans. Ce score estime le risque de rupture à 5 ans :

  • Score ≤2 : risque de 0,4 % (IC 95 %, 0,1-1,5)
  • Score de 5 : risque de 1,3 % (IC 95 %, 0,8-2,4)
  • Score de 10 : risque de 5,3 % (IC 95 %, 3,5-8,0)
  • Score ≥12 : risque de 17,8 % (IC 95 %, 15,2-20,7)

Le risque global de rupture d’AINR à 1 an selon PHASES était de 1,4 % (IC 95 %, 1,1-1,6), et à 5 ans de 3,4 % (IC 95 %, 2,9-4,0). Toutefois, le score PHASES présente des limites : il ne prend pas en compte certains facteurs de risque connus comme le tabagisme, les antécédents familiaux ou la morphologie de l’anévrisme, et n’a pas été validé par des études prospectives.

D’autres études majeures ont apporté des éclairages complémentaires :

  • L’International Study of Unruptured Intracranial Aneurysms a rapporté des risques annuels de rupture aussi bas que 0,05 % pour les petits anévrismes de la circulation antérieure (<10 mm) chez les patients sans antécédent d’hémorragie sous-arachnoïdienne
  • Le risque atteignait 1 % par an pour les anévrismes ≥10 mm et jusqu’à 6 % pour ceux ≥25 mm
  • Les patients avec antécédent d’hémorragie sous-arachnoïdienne présentaient des risques annuels plus élevés (~0,5 %), même pour les petits anévrismes
  • La Japanese Unruptured Cerebral Aneurysm Study a montré des risques annuels de rupture de 0,54 % pour les anévrismes <7 mm, augmentant à 1-2 % pour les anévrismes ≥7 mm, particulièrement dans la circulation postérieure

Le Unruptured Intracranial Aneurysm Treatment Score (UIATS) a été développé par 69 experts selon une méthode Delphi et intègre des facteurs de risque liés au traitement pour personnaliser la prise en charge. D’autres systèmes incluent un modèle finlandais utilisant seulement quatre variables (âge, tabagisme, diamètre et localisation de l’anévrisme) et un modèle japonais issu de l’étude UCAS prenant en compte l’âge, le sexe, l’hypertension, la taille, la localisation et la présence d’un sac fille.

Pour surveiller la croissance des anévrismes, le score ELAPSS (Antécédent d’hémorragie sous-arachnoïdienne, Localisation de l’anévrisme, Âge, Population, et Taille et Forme de l’anévrisme) a été développé à partir de données regroupées de 10 cohortes afin d’évaluer le risque de croissance d’AINR à 3 ou 5 ans. Cela aide à définir les intervalles de suivi par imagerie, en particulier pour identifier les patients à risque accru de croissance justifiant une surveillance plus rapprochée.

Traitement conservateur et surveillance

Pour les patients asymptomatiques porteurs d’AINR fortuits de petite taille (<7 mm), une prise en charge conservatrice est généralement recommandée en raison du faible risque de rupture. Cette approche vise à modifier les facteurs de risque connus pour favoriser la croissance des anévrismes.

Les éléments clés de la prise en charge conservatrice incluent :

  • Arrêt du tabac : Sevrage complet
  • Contrôle de la tension artérielle : Maintien de valeurs normales
  • Éducation du patient : Compréhension de la pathologie, des risques et des signes d’alerte
  • Décision partagée : Implication active dans les choix thérapeutiques

Les patients doivent être informés des risques d’hémorragie sous-arachnoïdienne, savoir reconnaître les signes d’alerte comme la céphalée en coup de tonnerre (« la pire migraine de ma vie ») et les paralysies des nerfs crâniens, connaître les situations nécessitant une consultation urgente et comprendre l’importance d’un suivi à long terme.

Les données montrent qu’une hypertension non contrôlée multiplie par 6,1 le risque de croissance de l’anévrisme par rapport aux patients normotendus, et par 3,9 par rapport aux patients hypertendus contrôlés.

La surveillance systématique implique généralement une imagerie non invasive par angio-TDM ou ARM tous les 6 mois jusqu’à stabilisation, puis annuellement pendant 2 à 3 ans, et à un rythme plus espacé ensuite en l’absence de changement. La fréquence peut être accrue pour les anévrismes à plus haut risque.

Options de traitement interventionnel

Pour les anévrismes à risque plus élevé (généralement ≥7 mm de diamètre situés dans la circulation antérieure), un traitement interventionnel peut être proposé. Les deux principales approches sont le traitement endovasculaire et le clipping chirurgical.

Les techniques endovasculaires sont des procédures mini-invasives réalisées par voie vasculaire. Elles incluent :

  • Embolisation par coils : Insertion de micro-spires de platine dans l’anévrisme pour provoquer une thrombose
  • Dérivation de flux : Utilisation de stents spécialisés pour détourner le flux sanguin de l’anévrisme

Les approches endovasculaires sont associées à des risques peropératoires plus faibles mais à un risque plus élevé de récidive nécessitant un retraitement.

Le clipping chirurgical implique une craniotomie (ouverture de la boîte crânienne) pour placer un clip métallique au collet de l’anévrisme, l’excluant ainsi de la circulation. Cette technique offre une durabilité supérieure mais comporte des risques procéduraux plus importants, liés à la chirurgie ouverte.

Le choix entre ces approches dépend de multiples facteurs : taille, localisation et morphologie de l’anévrisme, âge du patient, état de santé général et expertise chirurgicale. Il est souligné que les décisions doivent être individualisées grâce à une démarche de décision partagée entre le patient et l’équipe soignante.

Considérations liées au patient et qualité de vie

Vivre avec un anévrisme intracrânien non rompu peut générer une anxiété importante et une détresse psychologique. La conscience de porter une « bombe à retardement » dans la tête peut affecter profondément la qualité de vie, les activités quotidiennes et la santé mentale.

Les aspects importants pour les patients incluent :

  • Soutien psychologique : Recours à un accompagnement ou à des groupes de parole pour gérer l’anxiété
  • Éducation du patient : Compréhension approfondie du diagnostic et des risques individuels
  • Prise de décision partagée : Participation active aux choix thérapeutiques
  • Adhérence au suivi : Respect des rendez-vous de contrôle et des examens d’imagerie
  • Modifications du mode de vie : Mise en œuvre de changements pour réduire les facteurs de risque

Les soignants doivent aborder ces dimensions psychologiques et offrir des ressources adaptées pour aider les patients à supporter le fardeau émotionnel lié à un anévrisme intracrânien non rompu.

Recommandations cliniques

Sur la base des données présentées, l’auteur émet les recommandations cliniques suivantes pour la prise en charge des anévrismes intracrâniens non rompus :

  1. Évaluation du risque : Utiliser des scores validés comme PHASES pour estimer le risque de rupture et guider les décisions
  2. Facteurs de risque modifiables : Mettre en œuvre une gestion active de l’hypertension et un sevrage tabagique complet
  3. Imagerie : Privilégier l’angio-TDM ou l’ARM pour le dépistage et la surveillance ; réserver l’angiographie par soustraction digitale aux cas complexes ou à la planification thérapeutique
  4. Prise en charge conservatrice : La recommander pour les petits anévrismes (<7 mm), fortuits, de la circulation antérieure, en axant sur la modification des facteurs de risque et une surveillance régulière
  5. Considération d’une intervention : L’envisager pour les anévrismes à risque plus élevé (≥7 mm, circulation postérieure, symptomatiques ou présentant des caractéristiques à risque)
  6. Approche thérapeutique : Choisir entre techniques endovasculaires (risque procédural moindre mais récidive plus fréquente) et clipping chirurgical (risque procédural plus élevé mais résultat plus durable) selon les caractéristiques du patient et de l’anévrisme
  7. Soutien psychologique : Prendre en charge l’anxiété par l’éducation, le soutien et la décision partagée
  8. Surveillance à long terme : Établir des protocoles de suivi adaptés au profil de risque individuel

Limites de l’étude

Bien que cet article propose des recommandations détaillées fondées sur les preuves actuelles, plusieurs limites doivent être mentionnées :

Le score PHASES, bien qu’utile, n’a pas été validé prospectivement et omet certains facteurs de risque connus comme le tabagisme, les antécédents familiaux et la morphologie de l’anévrisme. La plupart des données proviennent d’études observationnelles plutôt que d’essais randomisés, ce qui limite la solidité des conclusions sur les stratégies optimales.

On observe des variations significatives dans les estimations du risque de rupture entre différentes études et populations, en particulier entre cohortes japonaises et occidentales. Cela suggère que des facteurs ethniques et génétiques pourraient jouer un rôle important non pleinement saisi par les modèles actuels.

Les données à long terme au-delà de 5 à 10 ans sont limitées, tant pour l’histoire naturelle que pour les résultats des traitements, rendant les prédictions à très long terme difficiles. De plus, la plupart des études se concentrent sur des facteurs anatomiques et cliniques, accordant moins d’attention à la qualité de vie et à l’impact psychologique, pourtant essentiels pour les patients.

Informations sur la source

Titre de l’article original : Clinical Practice: Unruptured Intracranial Aneurysms
Auteur : Christopher S. Ogilvy, M.D.
Publication : The New England Journal of Medicine
Date de publication : 19 juin 2025
Volume et numéro : 2025;392:2357-66
DOI : 10.1056/NEJMcp2409371

Cet article adapté aux patients est basé sur une publication évaluée par des pairs parue dans The New England Journal of Medicine. Il a été reformulé pour rendre accessibles des informations médicales complexes tout en conservant l’intégrité des données scientifiques, des statistiques et des résultats de l’article original.