Cet article rend hommage à la vie et aux accomplissements exceptionnels du Dr Fedor A. Serbinenko, neurochirurgien visionnaire qui a inventé l’embolisation par ballonnet dans les années 1960. Développés dans des conditions difficiles en Union soviétique, ses travaux ont révolutionné le traitement des pathologies complexes des vaisseaux cérébraux, telles que les anévrismes et les fistules, et ont donné naissance à la neurochirurgie endovasculaire. Grâce à neuf années de persévérance, ses techniques ont depuis permis d’évaluer et de traiter plus de 3 000 patients, offrant une alternative moins invasive à la chirurgie ouverte pour d’innombrables personnes à travers le monde.
Le Père du Traitement Moderne des Vaisseaux Cérébraux : L’Histoire du Dr Fedor Serbinenko
Table des Matières
- Introduction : Une Révolution Médicale
- Jeunesse et Formation
- Une Observation Fortuite Qui a Changé la Médecine
- Développement du Cathéter à Ballonnet
- Les Premières Interventions Réussies
- Création d’une Nouvelle Spécialité Médicale
- Impact Mondial et Reconnaissance
- L’Homme Derrière la Médecine
- Sources d’Information
Introduction : Une Révolution Médicale
Il est aujourd’hui difficile d’imaginer le traitement des pathologies cérébrovasculaires sans la neurochirurgie endovasculaire. Cette spécialité permet de traiter des affections complexes comme les anévrismes cérébraux, les malformations artério-veineuses (MAV) et les fistules carotidocaverneuses (FCC) de l’intérieur même des vaisseaux, évitant ainsi la chirurgie ouverte.
La diversité des pathologies aujourd’hui prises en charge par les neuro-interventionnels est remarquable, allant des tumeurs vasculaires à la prise en charge des AVC. Les médecins utilisent désormais des outils sophistiqués : cathéters hydrophiles tressés, coils complexes, stents adaptés aux vaisseaux cérébraux. Pourtant, seulement cinq ou six ans avant la rédaction de cet article en 2000, nombre de ces dispositifs n’existaient pas ou en étaient à leurs balbutiements.
Vingt ans plus tôt, seuls quelques médecins dans le monde pratiquaient ces interventions avec une technologie rudimentaire et des systèmes d’imagerie primitifs. Cet article retrace l’histoire du pionnier à l’origine de cette révolution : Fedor Serbinenko, qui a développé de nouvelles thérapies par cathéter pour les maladies neurovasculaires plus de trente ans auparavant, dans une Russie soviétique aux conditions extrêmement difficiles.
Jeunesse et Formation
Fedor Andreevitch Serbinenko est né le 24 mai 1928 dans le village de Dmitriovsk, dans la région de Stavropol, au nord du Caucase, alors en Union soviétique. Enfant, sa famille déménage à Mineralnye Vody, où son père travaille comme mécanicien dans un moulin et sa mère est femme au foyer.
Ses études secondaires sont interrompues par la Seconde Guerre mondiale — appelée Grande Guerre patriotique en Russie — durant laquelle son frère aîné, Yuri, trouve la mort. Son père, également soldat, survit au conflit. Pour subvenir aux besoins de sa mère et de sa grand-mère entre 1941 et 1945, le jeune Serbinenko commence à travailler dès l’âge de 14 ans comme apprenti machiniste.
Après la guerre, il continue à exercer ce métier tout en suivant des cours du soir, obtenant son baccalauréat avec mention en 1948. Il est ensuite admis à l’Institut de médecine I.M. Sechenov de Moscou, où il se distingue autant par son assiduité que par ses talents sportifs en volley-ball, natation et patinage.
Les difficultés économiques de l’après-guerre le contraignent à cumuler les petits jobs physiquement exigeants. Malgré cela, il maintient une parfaite assiduité à l’école de médecine. Dès sa troisième année, il se passionne pour la recherche en chirurgie, pharmacologie et urologie.
Diplômé en 1954, il est nommé interne à l’Institut de neurochirurgie N.N. Burdenko de Moscou, où il travaillera sans interruption pendant 44 ans. Réputé comme le centre névralgique des neurosciences en URSS, l’institut lui offre un terreau fertile pour son épanouissement professionnel.
Ses compétences techniques et intellectuelles hors normes lui valent rapidement l’attention de ses mentors, les professeurs A. Shlykov et M.A. Salazkin, éminents neurochirurgiens soviétiques. Ils l’encouragent à se spécialiser dans l’angiographie cérébrale percutanée, alors réalisée par ponction directe des artères carotide et vertébrale.
Serbinenko devient expert de cette technique, ce qui éveille son intérêt pour la pathologie neurovasculaire. En 1957, il devient candidat au doctorat en neurosciences. Une partie de sa thèse porte sur la physiopathologie et les manifestations cliniques des FCC. Il propose un nouveau système de classification basé sur leur impact sur la circulation cérébrale, ce qui stimule sa réflexion sur de nouvelles options thérapeutiques.
Une Observation Fortuite Qui a Changé la Médecine
En 1959, lors des célébrations du 1er mai sur la place Rouge à Moscou, Serbinenko remarque des ballons remplis d’hélium tenus par des enfants. Frappé par la facilité avec laquelle ils sont manœuvrés, il imagine qu’un minuscule ballonnet fixé à l’extrémité d’un cathéter pourrait naviguer de la même façon dans les vaisseaux, pour un blocage diagnostique ou thérapeutique.
Cette simple intuition donne lieu à une révolution médicale. Serbinenko monte un petit laboratoire pour tester divers matériaux — chlorure de polyvinyle, polyéthylène, nylon, silicone, latex — afin de créer un cathéter à ballonnet fonctionnel. Après de nombreux essais, il met au point des prototypes en silicone et latex.
Neuf années d’échecs et d’améliorations successives permettent finalement de perfectionner le dispositif. Un gonflage et dégonflage précis confèrent au microcathéter à ballonnet une excellente capacité de navigation dans l’anatomie vasculaire tortueuse de la base du crâne.
Cette avancée rend possible la première cathétérisation intracrânienne efficace. Le dispositif peut en outre cibler préférentiellement les fistules artério-veineuses à haut débit et les artères nourricières des MAV. L’usage de plusieurs ballonnets permet même une cathétérisation supersélective.
Développement du Cathéter à Ballonnet
Les premiers cathéters à ballonnet, d’un diamètre inférieur à 1 mm, étaient introduits par ponction directe de l’artère carotide. Le 8 février 1964, la première angiographie carotidienne externe sélective est réalisée grâce à une occlusion temporaire par ballonnet de la carotide interne.
Cette technique devient un adjuvant essentiel à l’angiographie carotidienne à l’Institut Burdenko. Deux types de dispositifs sont utilisés :
- Un système sans orifice distal, utilisé uniquement pour occlure les vaisseaux
- Un cathéter à ballonnet permettant à la fois l’occlusion et le passage de liquides via une lumière distale ou proximale — précurseur du cathéter à fuite calibrée
L’application initiale la plus importante est l’occlusion diagnostique temporaire des artères cérébrales. De 1969 à 1972, Serbinenko réalise 304 interventions de ce type, avec seulement deux décès.
L’occlusion thérapeutique permanente est obtenue en gonflant le ballonnet avec un mélange de polymère de silicone et de poudre de tantale, radio-opaque, qui se gélifie rapidement. Le cathéter peut alors être sectionné sans risque de fuite, laissant le segment distal en place dans l’artère.
La première occlusion vasculaire de ce type est rapportée le 24 avril 1970 pour traiter une FCC. (Serbinenko affirmera plus tard que sa première embolisation réussie remonte au 15 décembre 1969.)
La technique est perfectionnée : le ballonnet est d’abord gonflé avec un produit de contraste moins visqueux pour vérifier sa position, puis remplacé par du polymère de silicone une fois le placement confirmé.
Serbinenko met ensuite au point un ballonnet doté d’une valve ingénieuse permettant son détachement par simple traction sur le cathéter, éliminant ainsi le segment distal attaché.
De 1970 à 1973, il réalise 162 occlusions vasculaires permanentes pour traiter anévrismes, FCC et MAV, avec seulement deux décès. Il conçoit également un ballonnet avec pastille d’or radio-opaque, améliorant la visibilité et la manœuvrabilité sous fluoroscopie.
Bien que ses premiers travaux aient été réalisés par ponctions carotidiennes directes, Serbinenko adopte par la suite la technique de Seldinger transfémorale. Méticuleusement, il constitue une série impressionnante de plus de 3 000 patients évalués ou traités par cathéter à ballonnet.
Les Premières Interventions Réussies
Les travaux de Serbinenko ont permis pour la première fois des traitements efficaces pour diverses lésions neurovasculaires. Les concepts qu’il a pionniés il y a trente ans — traitement des FCC, fistules artério-veineuses et anévrismes fusiformes inopérables — restent pleinement valables aujourd’hui.
Sa pratique croissante en endovasculaire l’oblige à abandonner la neurochirurgie conventionnelle, mais ouvre un nouveau chapitre dans l’étude de la physiopathologie cérébrovasculaire.
Avec le neuropsychologue Alexander Luria, également de l’Institut Burdenko, le test d’occlusion par ballonnet de Serbinenko contribue à la cartographie cérébrale et à l’évaluation préchirurgicale des zones corticales eloquentes. Ces occlusions temporaires, similaires aux tests de Wada modernes, sont complétées par des études électrophysiologiques et biochimiques.
Création d’une Nouvelle Spécialité Médicale
D’autres chercheurs, dans les années 1960 et au début des années 1970, avaient déjà rapporté ou proposé des techniques endovasculaires pour traiter les lésions neurovasculaires. Parmi eux : Luessenhop et Spence (embolisation de MAV et tentative de traitement d’anévrisme carotidien par ballonnet), Alksne et Fingerhut (embolisation magnétique sur modèles canins), Prolo et Hanbery (occlusion de FCC par ballonnet non détachable).
Leurs travaux étaient visionnaires, mais c’est l’invention du cathéter à ballonnet par Serbinenko dans les années 1960, et la première occlusion permanente réussie d’un vaisseau intracrânien en 1969, qui marquent la naissance officielle de la neurochirurgie endovasculaire.
Impact Mondial et Reconnaissance
En 1971, lors du premier Congrès pan-soviétique de neurochirurgie à Moscou, Serbinenko présente son expérience cumulative. La même année, il publie son article fondateur sur l’utilisation du cathéter à ballonnet.
Malgré les obstacles de la Guerre froide, ces concepts novateurs influencent la médecine mondiale. En 1974, un autre article paraît dans le Journal of Neurosurgery.
L’Institut Burdenko devient une destination pour les médecins étrangers souhaitant observer ces techniques. Le travail de Serbinenko ouvre la voie à d’autres neuro-interventionnistes soviétiques, comme Y.N. Zubkov et V.I. Shcheglov.
Ses innovations inspirent des chercheurs du monde entier, conduisant à une explosion technologique et à l’essor des techniques neuro-interventionnelles. À la fin des années 1970, Debrun et al. rapportent leurs résultats avec le ballonnet en latex dans le traitement des anévrismes et des FCC.
Les cathéters à ballonnets non détachables rendent pratiques les tests d’occlusion carotidienne et vertébrale. Ils sont également utilisés pour la protection cérébrale pendant l’angioplastie et le stenting carotidien.
Le ballonnet à fuite calibrée — variante de l’invention de Serbinenko — permet l’arrêt antérograde du flux lors de l’embolisation de MAV avec des agents adhésifs liquides. Les microcathéters souples à flux dirigé ou sur fil-guide élargissent encore le champ d’application.
À la fin des années 1970, Hieshima et al. développent un ballonnet détachable en silicone, plus compliant, utilisé pour les FCC, FAV, anévrismes, MAV et lésions traumatiques.
En 1990, plusieurs groupes accumulent une expérience significative dans le traitement des anévrismes intracrâniens par ballonnet avec préservation de l’artère porteuse. Mais les complications restent importantes : une étude rapporte des taux de décès et d’AVC de 17,9 % et 10,7 %, respectivement.
Une autre étude signale 10 % d’échecs techniques, 4 % de mortalité et 10 % de complications neurologiques. Ces taux élevés conduisent au développement des coils détachables de Guglielmi, qui remplacent largement les ballonnets pour le traitement des anévrismes, bien que ces derniers soient encore utilisés en complément pour les anévrismes à collet large.
L’Homme Derrière la Médecine
En reconnaissance de ses contributions, Serbinenko est nommé membre honoraire de multiples sociétés scientifiques internationales, dont l’American Society of Neuroradiology. En 1976, il reçoit le Prix d’État soviétique.
En 1986, il devient membre correspondant de l’Académie russe des sciences médicales, puis académicien en 1995. Il est invité d’honneur à la Conférence scientifique 1999 de la Fédération mondiale de neuroradiologie interventionnelle et thérapeutique.
Serbinenko occupe le poste de Vice-Directeur des Affaires scientifiques de l’Institut Burdenko et est secrétaire scientifique du Conseil spécialisé pour la soutenance de thèses. Il siège au comité de rédaction de Voprosy Neurochirurgii. Auteur ou co-auteur de plus de 150 publications, il détient 11 brevets dans plusieurs pays.
Exigeant et déterminé, Serbinenko attend de ses collaborateurs — et surtout de lui-même — un engagement total au service des patients. Pour lui, la plus grande compassion consiste à offrir des soins médicaux d’excellence.
Sous cette rigueur se cache un sentimentaliste chaleureux et compatissant. Il ne néglige jamais un mot d’encouragement, un service rendu ou un réconfort apporté à un patient ou à sa famille.
Il rencontre sa femme, Maya, docteure en neurophysiologie, pendant ses études. Leur amitié se mue en une relation solide et profonde. Maya le soutient tout au long de sa carrière exigeante. Ils ont une fille, Natalia, également médecin. Bien qu’ils aient une maison à Moscou, ils passent toutes leurs vacances à la campagne, près des rives de la Volga, dans la région de Kostroma.
Sources d’Information
Titre original de l’article : Hommage au Dr Fedor A. Serbinenko, fondateur de la neurochirurgie endovasculaire
Auteurs : George P. Teitelbaum, M.D., Donald W. Larsen, M.D., Vladimir Zelman, M.D., Ph.D., Anatolii G. Lysachev, M.D., Leonid B. Likhterman, M.D., Ph.D.
Publication : Neurosurgery 46:462-470, 2000
Note : Cet article adapté aux patients repose sur une recherche évaluée par des pairs et conserve toutes les informations factuelles, dates, détails techniques et résultats médicaux de l’hommage original.