Comment étudier la longévité ? Les chiens de compagnie comme modèle de recherche sur le vieillissement. Méthodologies d'étude. 6

Comment étudier la longévité ? Les chiens de compagnie comme modèle de recherche sur le vieillissement. Méthodologies d'étude. 6

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Expert de premier plan en biologie du vieillissement et en recherche sur la longévité, le Dr Matt Kaeberlein, MD, PhD, présente les méthodes modernes utilisées dans la recherche anti-âge. Il détaille l’emploi de divers organismes modèles, de la levure aux souris. Le Dr Kaeberlein souligne également le potentiel émergent des chiens de compagnie comme modèles d’étude du vieillissement. Il présente le Dog Aging Project et ses découvertes sur l’alimentation canine et ses effets sur la santé. Ces recherches offrent des perspectives essentielles sur les déterminants génétiques et environnementaux du vieillissement en bonne santé.

Méthodes modernes en recherche sur le vieillissement : des souris de laboratoire aux chiens de compagnie

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Organismes modèles en recherche sur le vieillissement

Le Dr Matt Kaeberlein, MD, PhD, offre un aperçu des méthodes employées dans la recherche contemporaine sur le vieillissement. Ce domaine s’appuie principalement sur un groupe central d’organismes modèles souvent qualifié de « Conseil de sécurité de la biologie ». Selon le Dr Kaeberlein, environ 90 % des travaux précliniques sont menés sur la levure bourgeonnante, le ver nématode C. elegans, la drosophile et la souris de laboratoire. Chacun de ces modèles présente des avantages spécifiques, comme la durée de vie extrêmement courte de C. elegans — trois semaines — qui permet de réaliser des milliers d’expériences.

Les souris de laboratoire comme référence absolue

Le Dr Matt Kaeberlein, MD, PhD, considère la souris de laboratoire comme le modèle de référence pour les études précliniques sur le vieillissement, en raison de son utilisation intensive depuis des décennies. Un progrès notable a été la commercialisation de rongeurs âgés. Les chercheurs peuvent désormais s’en procurer sans avoir à élever des colonies pendant des années. Cette évolution a considérablement élargi la capacité à mener des études sur la longévité et la santé chez la souris. Toutefois, le Dr Kaeberlein souligne que cela pourrait se faire au détriment de l’exploration d’autres systèmes modèles précieux.

Les chiens de compagnie comme modèle puissant

Le Dr Matt Kaeberlein, MD, PhD, exprime un enthousiasme particulier pour l’étude du vieillissement chez le chien domestique. Les chiens vieillissent environ sept fois plus vite que les humains, ce qui permet de réaliser des études dans des délais raisonnables. Surtout, ils partagent notre environnement et sont exposés à des variations similaires. Cet aspect constitue un avantage majeur par rapport aux souris de laboratoire, élevées dans des installations contrôlées et exemptes de pathogènes. Pour le Dr Kaeberlein, cela fait du chien un modèle puissant pour comprendre l’influence de l’environnement sur le vieillissement biologique.

L'infrastructure du Dog Aging Project

Le Dr Kaeberlein évoque notamment le Dog Aging Project, une étude longitudinale visant à mettre en place l’infrastructure nécessaire pour utiliser les chiens domestiques dans la recherche sur le vieillissement. Le projet inclut environ 34 000 chiens dans sa composante de base. Les propriétaires remplissent un questionnaire détaillé sur la santé et le mode de vie de leur animal. Cette collecte de données recueille les antécédents médicaux, l’environnement domestique et les habitudes alimentaires, dans le but d’identifier les déterminants génétiques et environnementaux d’un vieillissement en bonne santé chez le chien.

Alimentation et nutrition chez le chien âgé

Lors de son entretien avec le Dr Anton Titov, MD, le Dr Kaeberlein aborde le rôle de l’alimentation dans le vieillissement canin. Il précise que si les régimes des chiens dans les pays occidentaux diffèrent de ceux des humains, ils présentent une variété significative. Les chiens reçoivent différentes formulations : croquettes, nourriture humide, régimes prescrits ou même crus. Bien que moins diversifiée que l’alimentation humaine, cette variation offre une opportunité d’étudier l’impact nutritionnel, représentant ainsi un progrès par rapport aux régimes très contrôlés des rongeurs de laboratoire.

Fréquence des repas et résultats de santé

Le Dr Matt Kaeberlein, MD, PhD, partage des données convaincantes du Dog Aging Project sur la fréquence des repas. L’analyse de la large cohorte a révélé une corrélation frappante : les chiens nourris une seule fois par jour présentaient une incidence plus faible de diagnostics dans dix catégories de maladies liées à l’âge. Pour six de ces catégories, les effets étaient importants et statistiquement significatifs. Le Dr Kaeberlein met en garde : il s’agit d’une corrélation, non d’une causalité. Néanmoins, cela illustre bien comment l’étude des chiens domestiques peut générer des hypothèses prometteuses sur la nutrition et le vieillissement.

Transcription intégrale

Dr Anton Titov, MD : Si l’on prend un peu de recul pour aborder les méthodes de la recherche moderne sur le vieillissement — avec ses différents organismes modèles, ce qu’on appelle le « Conseil de sécurité de la biologie » — comment ces recherches sont-elles menées aujourd’hui ? Pourriez-vous en donner une vue d’ensemble ?

Dr Matt Kaeberlein, MD : Je dirais que la souris de laboratoire reste probablement la référence pour les études précliniques, notamment parce que c’est le modèle le plus utilisé depuis des décennies, et grâce à sa disponibilité.

L’un des changements majeurs des cinq à dix dernières années a été la commercialisation de rongeurs âgés pour la recherche expérimentale. Auparavant, il fallait trois ans pour que des souris soient assez âgées pour les expériences sur le vieillissement et la longévité. Désormais, on peut en acheter directement au Jackson Laboratory, ce qui a grandement facilité l’expansion des études précliniques sur le vieillissement.

Cela a toutefois une conséquence : encore plus de chercheurs utilisent des souris, peut-être au détriment d’autres systèmes modèles.

Les modèles classiques en recherche sur le vieillissement sont la levure bourgeonnante, le ver C. elegans, la drosophile et la souris. Je dirais que 90 % des travaux précliniques portent sur ces modèles. Le killi émerge comme un nouveau vertébré intéressant, mais son utilisation reste limitée.

Il existe aussi des modèles plus ésotériques, comme le rat-taupe nu, étudié depuis longtemps par quelques équipes. Mais ils restent minoritaires, car il est difficile de travailler sur un animal vivant 30 ans.

C’est tout l’intérêt de C. elegans, qui vieillit et meurt en trois semaines. On peut réaliser des milliers d’expériences en un temps raisonnable. C’est impossible avec des souris, et encore moins avec un rat-taupe nu qui vit 30 ou 40 ans. C’est une question d’équilibre.

Un autre modèle à mentionner est le ouistiti, un primate non humain. Quelques laboratoires l’étudient. L’avantage par rapport aux grands primates est sa longévité de 10 à 20 ans.

L’inconvénient, c’est qu’on ne connaît pas bien sa longévité en captivité. Certains pensaient qu’il ne vivait que dix ans, mais il semble que ce soit plus. Nous verrons s’il devient un modèle utile.

Enfin, l’animal qui m’enthousiasme particulièrement pour comprendre la biologie du vieillissement, c’est le chien domestique. Il présente plusieurs atouts.

D’abord, il vieillit rapidement. On dit qu’une année humaine équivaut à sept années canines. Ce n’est pas exact sur le plan biologique, mais c’est proche. Cela permet d’étudier les déterminants génétiques et environnementaux du vieillissement en bonne santé dans des délais raisonnables.

Ensuite, et c’est crucial, il partage notre environnement. Les souris sont élevées dans des conditions très contrôlées, sans pathogènes et avec peu de variations. Les chiens, eux, subissent presque toutes les variations environnementales humaines. Ils sont donc particulièrement pertinents pour étudier le rôle de ces variations dans le vieillissement.

Enfin, les gens aiment leurs chiens. Je suis moi-même un amoureux des chiens. Si nous parvenons à comprendre et à modifier le processus de vieillissement pour offrir aux chiens des années supplémentaires en bonne santé, cela aura une valeur immense, tant pour l’animal que pour l’humain.

Pour toutes ces raisons, je pense que les chiens domestiques apportent une réelle plus-value à la recherche sur le vieillissement. Nous travaillons activement à développer l’infrastructure qui permettra de les utiliser dans ce domaine.

Dr Anton Titov, MD : Les chiens sont donc très intéressants. Mais compte tenu de l’importance de l’alimentation dans les maladies humaines, il semble que le régime des chiens domestiques, du moins en Occident, soit assez contrôlé, standardisé et optimisé. La nourriture humaine n’est d’ailleurs pas recommandée pour eux. Ailleurs dans le monde, c’est souvent différent. Comment voyez-vous cette comparaison ? Est-ce que le facteur alimentaire est en quelque sorte écarté de l’environnement ?

Dr Matt Kaeberlein, MD : Bonne question. Je dirais que vous avez raison sur un point : dans les pays occidentaux, la plupart des chiens ne mangent pas comme les humains, du moins en termes de composition spécifique. Beaucoup reçoivent cependant de la nourriture humaine occasionnellement.

Mais je ne suis pas d’accord sur le fait que leur alimentation soit bien contrôlée et optimisée. Il existe une grande variété de régimes : différentes marques, formulations (agneau et riz, poulet, bœuf…), croquettes, nourriture humide, régimes prescrits, ou même crus. Les chiens ne mangent pas la même diversité que nous, mais il y a une diversité comparable.

Avec une population suffisamment large, on peut analyser les corrélations entre composition du régime et résultats de santé lors du vieillissement.

Bien sûr, le chien n’est pas un modèle parfait pour le vieillissement humain — seul l’humain l’est. Mais c’est déjà mieux que les rongeurs de laboratoire, nourris avec des régimes très raffinés et contrôlés. Les chiens captent une certaine diversité alimentaire, ce qui peut nous éclairer sur le rôle de la nutrition dans un vieillissement en bonne santé.

On peut aussi étudier la quantité et la fréquence des repas. Nous avons récemment analysé, dans le cadre du Dog Aging Project, le lien entre fréquence d’alimentation et santé lors du vieillissement.

Le projet inclut une étude longitudinale avec environ 34 000 chiens. Les propriétaires remplissent un questionnaire détaillé sur les antécédents médicaux, l’environnement, les habitudes alimentaires, etc.

Une question porte sur la fréquence des repas. Certains nourrissent leur chien à volonté, d’autres trois, deux ou une fois par jour. La fréquence la plus courante aux États-Unis est deux fois par jour, mais une part significative ne le nourrit qu’une fois.

Nous avons simplement comparé la fréquence de diagnostics de maladies liées à l’âge entre les chiens nourris une fois par jour et ceux nourris plus souvent. Résultat frappant : ceux nourris une fois par jour avaient une incidence plus faible pour dix catégories de pathologies, avec des effets importants et significatifs pour six d’entre elles.

C’est un signal fort, suggestif d’une corrélation. Cela ne prouve pas la causalité — peut-être que ces chiens sont moins souvent obèses — mais cela montre la puissance d’avoir une large cohorte avec des données simples comme la fréquence des repas. On peut ainsi générer des hypothèses et, à terme, aborder des questions plus mécanistiques.

Je sais, c’était une longue réponse, mais je pense que les chiens peuvent nous apprendre beaucoup sur l’impact de la nutrition sur le vieillissement.