Le docteur Yves Ville, MD, expert de renom en médecine fœtale et en éthique, décrypte les enjeux éthiques complexes des soins obstétricaux. Il rappelle que le premier devoir du médecin est envers la femme enceinte, et que l’éthique médicale doit s’inscrire dans le cadre légal. Le docteur Yves Ville, MD, évoque également les discussions délicates autour des malformations fœtales et des options thérapeutiques, en illustrant son propos par l’exemple détaillé de la dilatation de la valve aortique in utero. La décision de traiter, de poursuivre sans intervention ou d’interrompre la grossesse appartient exclusivement à la patiente, après avoir été pleinement informée.
Naviguer les dilemmes éthiques en médecine fœtale et la prise de décision maternelle
Aller à la section
- Devoir médical et cadre légal
- Conversations sur le consentement éclairé
- Cas clinique : sténose aortique fœtale
- Facteurs de décision des patientes
- Le principe d’utilité en éthique
- Transcription intégrale
Devoir médical et cadre légal
Le Dr Yves Ville, médecin, rappelle le principe fondamental qui guide l’éthique médicale en obstétrique. Il souligne que les médecins ne sont ni des prêtres ni des philosophes. Leur premier devoir est toujours envers la femme enceinte. Dans ce contexte clinique, l’éthique doit se conformer à la loi du pays. Ce cadre légal définit l’espace dans lequel évoluent médecins et patientes.
Le Dr Yves Ville précise qu’en Europe, particulièrement en France, la loi prime. Elle confie la décision médicale finale à la discussion entre le médecin et la femme enceinte. L’embryon ou le fœtus n’a pas de voix légale, car il vit par sa mère. Bien que ce cadre puisse créer des situations difficiles, il permet aux médecins d’agir en conformité avec la loi et en étroite relation avec leur patiente.
Conversations sur le consentement éclairé
Le Dr Yves Ville détaille le processus des conversations délicates avec les patientes. L’essentiel de son travail consiste à informer la femme enceinte de manière exhaustive et compréhensible. Le rôle du médecin n’est pas d’imposer ses opinions personnelles, mais de présenter toutes les options avec clarté.
Le Dr Anton Titov et le Dr Ville évoquent la diversité des réactions des patientes. Pour une même malformation fœtale sévère, les femmes peuvent opter pour des parcours très différents. Certaines demandent à se battre en utilisant les technologies les plus avancées, d’autres une interruption de grossesse. Le médecin doit soutenir ces deux décisions valides dans le cadre de son devoir professionnel, dès lors qu’elles sont légales.
Cas clinique : sténose aortique fœtale
Le Dr Yves Ville illustre ces défis éthiques par un exemple concret : le diagnostic et la prise en charge de la sténose aortique fœtale critique. Cette affection est parfaitement identifiable à l’échographie. Si elle est sévère, elle peut évoluer vers un syndrome du cœur gauche hypoplasique, aboutissant à la naissance d’un bébé avec un seul ventricule fonctionnel.
L’option de traitement in utero comporte des risques élevés. Sous guidage échographique, une aiguille est insérée dans le cœur fœtal pour dilater la valve aortique sténosée à l’aide d’un ballonnet. Le Dr Ville cite les statistiques : un risque immédiat de décès fœtal de 15 % dû à l’intervention, et un taux de succès global d’environ 50 %. Il reste ainsi 35 % de chances d’une issue favorable avec récupération du ventricule gauche. Ces probabilités incertaines fondent une décision extrêmement difficile pour la future mère.
Facteurs de décision des patientes
Le Dr Anton Titov interroge le Dr Ville sur l’existence de tendances dans ces choix douloureux. Le Dr Yves Ville répond que ce n’est pas une question de tendances, mais plutôt lié à l’histoire personnelle, l’enfance et les relations de chaque patiente. Des pressions externes, comme une carrière de mannequin face à une fente faciale fœtale, peuvent jouer un rôle.
Le Dr Yves Ville souligne que chaque être humain est unique. Pour certaines femmes, un bébé représente une dernière chance de maternité, influençant leur décision de poursuivre la grossesse malgré un pronostic défavorable. Le travail du médecin est de comprendre ces facteurs sans jugement. Le choix final revient toujours à la femme enceinte.
Le principe d’utilité en éthique
Le Dr Yves Ville présente un concept éthique clé utilisé en consultation : le principe d’utilité. Il s’agit d’éviter la pire issue possible quand une bonne issue est inaccessible. Le rôle du médecin est d’aider la patiente à examiner les options pour identifier ce qui est préférable ou pour écarter les scénarios les plus défavorables.
Cette approche élargit la compréhension du médecin envers sa patiente et répond mieux à ses attentes en période de stress intense. En se concentrant sur l’utilité et une information claire, le Dr Ville estime que la plupart des personnes raisonnables parviennent à une décision adaptée à leur situation.
Transcription intégrale
Dr Anton Titov, médecin : L’éthique en médecine est un vaste sujet. Nous avons déjà abordé le diagnostic, le traitement, voire la chirurgie fœtale endoscopique, les malformations congénitales et les infections. Les anomalies congénitales chez un fœtus sont une nouvelle très difficile pour les parents, surtout pour la mère. Vous avez quotidiennement ces conversations délicates avec vos patientes.
Quels sont les aspects psychologiques et éthiques des discussions sur la chirurgie fœtale et les malformations congénitales ? Comment abordez-vous ces entretiens dans votre pratique ? Je vois l’un des nombreux livres dans votre bureau, L’Éthique en Obstétrique et Gynécologie. C’est un sujet immense, mais crucial.
Dr Yves Ville, médecin : Nous ne sommes ni des prêtres, ni des philosophes. Nous sommes médecins. Notre premier devoir est envers la femme enceinte. Cela posé, l’éthique doit suivre la loi. Vous exercez dans un cadre légal et devez respecter les règles. Donc l’éthique suit la loi.
Si vous êtes philosophe ou prêtre, elle précède la loi. Si vous êtes médecin, vous suivez la loi. Votre éthique est donc fortement influencée par votre environnement légal. En Europe, et particulièrement en France, nous sommes privilégiés car la loi confie la décision à la discussion médicale avec la femme enceinte.
L’embryon n’a pas son mot à dire, et le fœtus vit par sa mère. Avec ces principes clairs, votre travail reste difficile. Interrompre une grossesse n’est jamais simple. Mais au moins, vous agissez en conformité avec la loi et en étroite relation avec la femme enceinte. Elle a le dernier mot. Et je trouve cela très sensé.
Face à une malformation fœtale sévère, vous pouvez presque devenir schizophrène. Certaines femmes dans la même situation vous demanderont de vous battre jusqu’aux limites du possible. D’autres demanderont une interruption de grossesse.
Même problème, même âge gestationnel, même profil. Et vous devez l’accepter. Ces deux décisions font partie de votre travail. Vous l’aimez ou non ; vous êtes libre de ne pas le faire. Mais vous ne pouvez pas vous y opposer tant que c’est légal.
Votre devoir est d’informer extrêmement bien la patiente, d’une manière qu’elle comprenne. Vous n’imposez pas vos vues. Vous essayez, grâce à votre conversation, son histoire ou son environnement, de l’aider à voir à travers les options ce qui serait le mieux pour elle, ou d’éviter le pire.
Souvent, on appelle cela le principe d’utilité en éthique : éviter ce qui est pire quand on ne peut obtenir ce qui est bon. Ainsi, vous élargissez votre compréhension de la patiente et répondez à ses attentes. Mais votre premier devoir est envers la femme enceinte. Et cela fonctionne.
Dr Anton Titov, médecin : Pourriez-vous partager l’histoire d’une patiente pour illustrer ces sujets ? Peut-être un exemple ou une synthèse de cas cliniques de votre pratique ?
Dr Yves Ville, médecin : Certains dilemmes sont très nets et schématiques : une maladie curable. Une femme demanderait malgré tout une interruption parce qu’elle n’est pas prête à prendre le moindre risque, une autre voudrait poursuivre la grossesse coûte que coûte.
Pour une maladie facilement traitable, comme l’anémie fœtale, cela peut arriver. Mais si ces personnes surmontent le choc de l’annonce, vous donnez du temps, de l’information, vous répondez à leurs questions. Il n’y a aucune raison qu’elles deviennent déraisonnables.
La majorité des gens sont sensés, et vous travaillez pour eux. Quand il y a un problème psychologique ou psychiatrique, c’est différent, mais cela devient alors un problème maternel, une indication potentielle d’interruption ou non.
Avec des personnes sensées, vous ne devriez pas rencontrer autant de ces situations. Mais si le traitement est incertain, prenons un autre exemple, sous guidage échographique. Disons une valve aortique fœtale malade. Vous avez une sténose aortique critique.
Si elle est sévère en début de grossesse, le ventricule gauche ne se développera pas. Ce sera un cœur gauche hypoplasique, et le bébé naîtra avec un seul ventricule, ce qui mène à plusieurs chirurgies sans véritable guérison. Une vie de interventions et une espérance de vie limitée et inconfortable.
Quand vous posez ce diagnostic, accessible à l’échographie, les options sont : laisser faire la nature, interrompre la grossesse, ou tenter un traitement in utero. Sous échographie, nous insérons une aiguille dans le ventricule gauche, cathétérons la valve et dilatons avec un ballonnet, comme en cardiologie.
Cette procédure est risquée. Le risque de décès immédiat est d’environ 15 %. Les résultats sont incertains : même si la valve est dilatée, on ignore si cela suffira pour que le ventricule se développe. Il faut attendre plusieurs semaines après l’intervention.
Avec le même tableau clinique, les conversations et options varient totalement. Certaines femmes diront : « Vous m’avez dit 50 % de succès, 15 % de risque de décès, donc 35 % de chances favorables. Je ne prends pas ce risque. »
Une autre dira : « Le ventricule est déjà fibrosé, le risque de décès est de 15 %, le succès de 10-20 %, mais je veux tout faire pour ce bébé. » Et certaines préféreront ne rien faire, même avec 5 % de chances que le cœur fonctionne avec deux ventricules.
Encore une fois, c’est un travail pour quasi-schizophrènes. Vous ne jugez pas. Vous expliquez. Vous vous assurez que tout est compris et vous suivez la femme ; c’est sa grossesse. Et potentiellement son bébé ou non.
Dr Anton Titov, médecin : Pouvez-vous catégoriser vos patientes, celles qui prennent ces décisions si diverses ? Y a-t-il des tendances ? Un système ? Ou est-ce toujours une surprise ? Observez-vous des schémas ?
Dr Yves Ville, médecin : Des schémas ? Je ne dirais pas cela. Mais si vous creusez dans leur vie, leur histoire, leur enfance, leurs relations, vous pouvez trouver l’origine de la décision. Parfois, c’est facile.
Prenez une caricature : un fœtus avec une fente faciale. La femme est mannequin. Pourquoi est-elle devenue mannequin ? Quelle pression a-t-elle subie ? Peut-elle faire face à une fente faciale ? Probablement, en général. Mais pas individuellement.
Généralement, ce sera plus difficile pour elle que pour une femme sans pression extérieure sur son apparence, pour qui ce bébé est la dernière chance d’avoir un enfant. Vous ne pouvez pas avoir de schéma. Il y a toujours des facteurs, parfois évidents, parfois enfouis, qui construiront leur décision. C’est la définition d’un être humain.
Dr Anton Titov, médecin : Professeur Yves Ville, merci beaucoup pour votre temps et pour avoir partagé ces informations cruciales, au-delà de l’éthique et des difficultés que vous rencontrez quotidiennement. Vous aidez tant de personnes en situations très difficiles. Nous espérons vous retrouver à l’avenir. Merci !
Dr Yves Ville, médecin : Merci.