Expert de renommée mondiale en génétique et épigénétique du cancer colorectal, le Dr C. Richard Boland, MD, explique comment la méthylation de l’ADN est à l’origine de 30 à 40 % des cancers en inactivant les gènes suppresseurs de tumeurs. Il se concentre en particulier sur le phénotype de méthylation des îlots CpG (CIMP) dans le cancer du côlon et son rôle dans l’instabilité des microsatellites, au-delà du syndrome de Lynch.
Épigénétique et cancer colorectal : comment la méthylation de l’ADN inactive les gènes suppresseurs de tumeurs
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- Qu'est-ce que l'épigénétique dans le cancer ?
- Mécanisme de la méthylation de l’ADN
- Phénotype méthylateur des îlots CpG (CIMP) dans le cancer colorectal
- Découverte du gène MLH1 et instabilité microsatellitaire
- Autres gènes suppresseurs de tumeurs méthylés
- Implications cliniques pour le diagnostic du cancer
- Transcript intégral
Qu'est-ce que l'épigénétique dans le cancer ?
L’épigénétique regroupe les modifications de l’expression des gènes qui surviennent sans altération de la séquence d’ADN. Le Dr C. Richard Boland souligne que, si les mutations génétiques retiennent davantage l’attention en médecine de précision, les modifications épigénétiques agissent comme des interrupteurs maîtres, activant ou inactivant les gènes liés au cancer. Ces mécanismes jouent un rôle déterminant dans l’apparition et l’évolution du cancer colorectal.
Mécanisme de la méthylation de l’ADN
Le principal mécanisme épigénétique implique la méthylation de l’ADN au niveau des sites CpG — des séquences où un nucléotide cytosine (C) et un nucléotide guanine (G) sont liés par une liaison phosphodiester (p). Le Dr C. Boland explique que la méthylation de la cytosine dans ces régions promotrices modifie la configuration de l’ADN, verrouillant les gènes en position « désactivée ». Bien qu’un certain niveau de silence génique soit physiologique, une méthylation excessive due à l’inflammation ou à d’autres facteurs peut supprimer dangereusement les gènes suppresseurs de tumeurs.
Phénotype méthylateur des îlots CpG (CIMP) dans le cancer colorectal
Lorsque des schémas anormaux de méthylation de l’ADN inactivent simultanément plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs, on parle de phénotype méthylateur des îlots CpG (CIMP). Le Dr C. Richard Boland estime que ce phénomène est responsable d’environ 30 à 40 % de tous les cancers. Dans le cancer colorectal en particulier, le CIMP représente une voie moléculaire distincte, différente de la cancérogenèse traditionnelle par mutations.
Découverte du gène MLH1 et instabilité microsatellitaire
Une avancée majeure a eu lieu lorsque l’équipe du Dr Boland a cherché à comprendre pourquoi 15 % des cancers colorectaux présentaient une instabilité microsatellitaire (IMS) — caractéristique du syndrome de Lynch — alors que seulement 3 % des patients étaient porteurs de cette affection héréditaire. Ils ont découvert que 12 % des cas résultaient de l’inactivation épigénétique du gène de réparation des mésappariements MLH1. Cette altération épigénétique provoque une IMS sans mutation génétique sous-jacente, démontrant ainsi que la méthylation seule peut reproduire des profils de cancer héréditaire.
Autres gènes suppresseurs de tumeurs méthylés
Au-delà de MLH1, les travaux du Dr C. Richard Boland ont identifié d’autres gènes suppresseurs de tumeurs fréquemment inactivés par méthylation dans le cancer colorectal, notamment le gène P16. Ces découvertes ont élargi notre compréhension de la façon dont les changements épigénétiques agissent de concert avec les mutations génétiques pour favoriser la progression cancéreuse via de multiples voies parallèles.
Implications cliniques pour le diagnostic du cancer
La découverte du CIMP et de l’IMS liée à la méthylation a des implications diagnostiques majeures. Le Dr C. Boland souligne que les tests épigénétiques permettent désormais de distinguer le syndrome de Lynch héréditaire de l’IMS sporadique induite par méthylation chez les patients atteints de cancer colorectal. Cette distinction précise oriente le dépistage adapté pour les patients et leurs familles, tout en ouvrant la voie à de nouvelles thérapies épigénétiques ciblées.
Transcript intégral
Dr Anton Titov, MD : Les mutations tumorales retiennent la plus grande attention lorsqu’on parle de médecine de précision. Mais un autre type d’altération génétique dans les tumeurs joue un rôle tout aussi important dans l’apparition et la progression du cancer. Qu’est-ce que l’épigénétique ? Comment la méthylation de l’ADN dans les tumeurs et chez les patients augmente-t-elle le risque de cancer ?
Un expert de renom en génétique du cancer colorectal nous éclaire sur le sujet.
Dr C. Boland, MD : La génétique et la génomique du cancer sont au cœur de la révolution du diagnostic et du traitement — la médecine de précision. La plupart de l’attention se concentre sur les mutations des gènes cancérigènes. Mais j’ai longuement étudié une autre forme majeure d’altération génétique dans le cancer colorectal : l’épigénétique.
Les mécanismes épigénétiques agissent comme des interrupteurs maîtres activant ou désactivant les gènes promoteurs ou suppresseurs de tumeurs. À ce titre, ils jouent un rôle essentiel dans l’initiation et la progression du cancer colorectal.
Dr Anton Titov, MD : Quels sont les principaux facteurs épigénétiques dans le cancer colorectal ? Comment l’information épigénétique aide-t-elle à prévenir, diagnostiquer et traiter ce cancer ?
Dr C. Boland, MD : L’épigénétique étudie les modifications de l’expression des gènes qui surviennent sans changement de la séquence d’ADN. Le premier phénomène épigénétique découvert a été la méthylation de l’ADN.
Il existe des séquences d’ADN riches en nucléotides « C » et « G », appelées sites « CpG ». « C » désigne la cytosine, « P » la liaison phosphodiester, et « G » la guanine. La plupart de ces sites ont disparu du génome. Ceux qui subsistent se situent principalement dans les régions promotrices des gènes.
Le promoteur est la partie du gène qui déclenche son activation. Une étape de méthylation de la cytosine peut survenir, et elle est finement régulée. Si de nombreuses cytosines des sites CpG sont méthylées, la configuration de l’ADN change. Le promoteur du gène est alors désactivé.
Cet interrupteur reste verrouillé en position OFF, inactivant le gène. Certains gènes sont naturellement silencieux — la plupart des gènes ne sont pas nécessaires dans la plupart des cellules.
Parfois, une inflammation excessive provoque une méthylation excessive de l’ADN. Les raisons en sont encore mal comprises. Mais dans certains cas, la méthylation devient excessive et commence à désactiver des gènes indispensables au bon fonctionnement cellulaire.
Lorsque cela se produit, des gènes suppresseurs de tumeurs peuvent être inactivés, et le cancer peut se développer via le silence d’une constellation de ces gènes. On appelle cela le « phénotype méthylateur des îlots CpG », ou CIMP. Cette méthylation anormale de l’ADN est probablement responsable de 30 à 40 % de tous les cancers.
Nous avons pris conscience de l’importance du CIMP en étudiant le syndrome de Lynch (cancer colorectal héréditaire). Nous avons observé que 15 % de tous les cancers colorectaux présentaient une instabilité microsatellitaire — caractéristique du cancer colorectal dans le syndrome de Lynch.
Mais nous savions que 15 % des cancers colorectaux ne pouvaient pas être attribués au syndrome de Lynch. Nous avons découvert que parmi ces 15 % de cancers avec instabilité microsatellitaire, seulement 3 % environ étaient dus au syndrome de Lynch. Les 12 % restants résultaient de la méthylation et de l’inactivation d’un des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN — en l’occurrence, le gène MLH1.
Ces tumeurs colorectales présentent non seulement une méthylation étendue et un profil CIMP, mais aussi, après plusieurs années — vraisemblablement par accident — les deux allèles du gène MLH1 sont méthylés et inactivés. Il en résulte une instabilité microsatellitaire superposée à la méthylation génique.
La découverte du rôle du gène MLH1 a marqué une avancée majeure dans la compréhension de la méthylation dans le cancer colorectal. Nous avons ensuite identifié d’autres gènes suppresseurs de tumeurs, comme P-16, fréquemment méthylés dans le cancer.
Cela a constitué une part importante de la recherche sur le cancer épigénétique — l’étude de la méthylation des gènes.