Chirurgie fœtale endoscopique. Quand et dans quels cas cette intervention peut-elle être bénéfique ? 1. [Parties 1 et 2]

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Le Dr Yves Ville, expert de renommée internationale en médecine materno-fœtale et chirurgie fœtale endoscopique, explique comment les interventions fœtales permettent de traiter des affections congénitales potentiellement mortelles. Il retrace l’évolution des techniques mini-invasives appliquées au placenta ou au fœtus, qui améliorent considérablement la survie des jumeaux atteints du syndrome de transfusion fœto-fœtale (STFF). La chirurgie fœtale s’étend également au traitement de l’hernie diaphragmatique congénitale sévère et des arythmies fœtales rares résistantes aux médicaments. Le Dr Ville souligne l’importance d’une sélection rigoureuse des diagnostics, où les bénéfices doivent clairement surpasser les risques d’accouchement prématuré.

Chirurgie fœtale endoscopique : Traiter les anomalies congénitales avant la naissance

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Traitement du syndrome de transfusion fœto-fœtale

La chirurgie fœtale endoscopique a connu son premier succès dans le traitement du syndrome de transfusion fœto-fœtale (STFF). Le docteur Yves Ville explique que cette affection touche les jumeaux monochoriaux partageant un seul placenta. Des connexions vasculaires anormales à la surface placentaire entraînent un déséquilibre du flux sanguin entre les fœtus. La technique pionnière consiste à coaguler ces vaisseaux communs à l’aide d’un micro-endoscope.

Le docteur Yves Ville souligne que la grossesse elle-même facilite cette intervention. Le liquide amniotique abondant offre une vision claire du champ opératoire. Développée en 1991, cette technique est désormais la norme de soins mondiale. Elle a transformé le pronostic, faisant passer le taux de mortalité de 90 % à un taux de survie de 90 % pour les jumeaux atteints.

Complications des grossesses monochoriales

La chirurgie fœtale permet de traiter plusieurs complications potentiellement mortelles lors des grossesses monochoriales. Le docteur Yves Ville décrit le retard de croissance intra-utérin sélectif (RCIU-s), où l’un des jumeaux présente un retard de croissance sévère et un état pathologique. La chirurgie au laser permet alors de déconnecter les circulations pour sauver le jumeau en meilleure santé.

Une autre indication est l’interruption sélective en cas d’anomalie fœtale létale. Les chirurgiens peuvent occlure le cordon ombilical du jumeau atteint à l’aide d’un laser ou de pinces bipolaires, préservant ainsi le co-jumeau sain. Le docteur Ville évoque également le syndrome TRAP (séquence de perfusion artérielle inversée), qui nécessite de coaguler le cordon d’un jumeau acardiaque non viable pour éviter la surcharge cardiaque chez le jumeau « pompeur ».

Réparation de la hernie diaphragmatique congénitale

La hernie diaphragmatique congénitale (HDC) sévère constitue une autre indication majeure d’intervention fœtale. Le docteur Yves Ville en décrit la physiopathologie : les organes abdominaux font hernie dans le thorax à travers un orifice diaphragmatique, comprimant les poumons et compromettant gravement leur développement.

L’intervention endoscopique, appelée occlusion trachéale fœtale endoscopique (OTFE), bloque temporairement la trachée fœtale. Un ballonnet est placé dans la trachée pour retenir le liquide pulmonaire, augmentant ainsi la pression intrathoracique et favorisant la croissance pulmonaire. Après trois à quatre semaines, le ballonnet est retiré. Le docteur Anton Titov souligne l’impact significatif de cette technique : elle peut augmenter le taux de survie de 10 % à 20-30 % dans les cas les plus sévères.

Intervention pour arythmie fœtale

La chirurgie fœtale peut traiter les rares cas de tachyarythmie fœtale résistants aux médicaments. Le docteur Yves Ville précise qu’il s’agit généralement d’un flutter auriculaire. Cette arythmie peut provoquer une défaillance cardiaque en l’absence de réponse au traitement pharmacologique. La technique endoscopique adapte des instruments utilisés pour d’autres affections.

Les chirurgiens introduisent une petite sonde de stimulation dans l’œsophage fœtal, derrière le cœur. La stimulation cardiaque permet d’interrompre le rythme anormal. Au redémarrage, le cœur reprend souvent un rythme sinusal normal. Le docteur Yves Ville souligne que ces indications sont extrêmement rares, mais qu’elles démontrent la polyvalence de l’arsenal chirurgical fœtal.

Controverse sur le spina bifida

La chirurgie fœtale pour spina bifida représente une extension controversée des indications. Le docteur Yves Ville rappelle que le principe fondateur de la chirurgie fœtale était de prévenir la mort ou des séquelles graves irréversibles. Or, le spina bifida n’entraîne généralement pas la mort fœtale. L’objectif est d’améliorer les résultats neurologiques, notamment la fonction motrice, sans pour autant guérir l’incontinence.

L’intervention consiste à fermer endoscopiquement la lésion de myéloméningocèle in utero. Le docteur Ville observe une divergence culturelle et juridique : en Europe, où l’interruption est plus accessible, cette chirurgie est rare. Aux États-Unis et ailleurs, elle est plus fréquemment proposée comme alternative. Cette pratique repousse les limites du cadre éthique fondamental de la chirurgie fœtale.

Indications futures de la chirurgie fœtale

L’avenir de la chirurgie fœtale pourrait inclure de nouvelles affections, mais il se heurte à des obstacles significatifs. Le docteur Yves Ville évoque le tératome sacrococcygien, une tumeur hautement vascularisée pouvant entraîner une défaillance cardiaque fœtale. Les tentatives de traitement endoscopique ont jusqu’ici échoué, laissant cette pathologie comme indication potentielle pour la chirurgie fœtale ouverte, qui implique l’ouverture de l’utérus.

Le docteur Ville exprime de vives réserves envers les techniques de chirurgie fœtale ouverte, en raison des risques maternels substantiels, tels que la rupture utérine ou le placenta accreta lors de grossesses ultérieures. Il privilégie le développement d’indications minimalement invasives et endoscopiques, priorisant la sécurité maternelle tout en faisant progresser les soins fœtaux—une approche qu’il estime partagée par de nombreux patients et praticiens.

Transcription intégrale

Dr. Anton Titov, MD: Vous êtes l’un des experts leaders en médecine materno-fœtale et anomalies congénitales fœtales. Vous êtes également expert en chirurgie fœtale au laser pendant la grossesse. Quels sont les problèmes médicaux typiques que vous résolvez pour les femmes enceintes ? Quels diagnostics peuvent être traités par chirurgie fœtale endoscopique ?

Dr. Yves Ville, MD: Exact. Les affections doivent être identifiables avant traitement. Elles sont en nombre limité. Chronologiquement, la première indication ayant permis de standardiser l’endoscopie fœtale concernait les jumeaux monochoriaux, dans le cadre du syndrome de transfusion fœto-fœtale.

On n’opère pas les fœtus eux-mêmes, mais le placenta. Les jumeaux partagent le même placenta, qui présente des vaisseaux traversant les plaques choriales. Une fois le schéma reconnu, on coagule ces vaisseaux communs aux deux fœtus. Nous avons réalisé cela en 1991 en utilisant la micro-endoscopie, initialement développée pour la chirurgie ORL et l’urologie pédiatrique.

Ces endoscopes mesurent moins de deux millimètres de diamètre. Nous les introduisons par un trocart percutané à travers l’abdomen maternel, dans l’utérus et le liquide amniotique. La grossesse elle-même facilite la chirurgie, car le liquide amniotique abondant offre une vision très claire du champ opératoire—ce qui n’est pas toujours le cas pour d’autres affections.

En près de 30 ans, cette technique est devenue la norme de soins pour cette pathologie et d’autres liées à la monochorionicité. La chirurgie placentaire a été la première tentative et le premier succès.

Cela inclut aussi le retard de croissance sélectif chez un jumeau monochorial. Lorsque l’un des jumeaux est très malade, il peut être salvateur, au moins pour l’autre, de déconnecter leurs circulations. Il est parfois nécessaire de coaguler le cordon ombilical d’un jumeau en cas de malformation létale.

Il s’agit alors d’une interruption sélective de grossesse par occlusion du cordon, réalisable au laser ou par coagulation avec des pinces bipolaires sous guidage échographique. Ainsi, un large spectre de pathologies liées à la monochorionicité peut être traité : soit pour sauver les deux fœtus (comme dans la transfusion fœto-fœtale), soit pour préserver le jumeau sain.

Cela peut impliquer de se séparer d’un fœtus très malade, de coaguler son cordon, ou encore d’intervenir sur un jumeau acardiaque dans le syndrome TRAP (séquence de perfusion artérielle inversée)—où une masse tissulaire non viable cause une surcharge cardiaque chez le fœtus sain. Il faut alors déconnecter cette « tumeur » du jumeau.

Au niveau mondial, ces pathologies monochoriales représentent probablement 80 % de la chirurgie fœtale ou intra-utérine.

D’autres indications ont été développées par la suite. L’une d’elles concerne la hernie diaphragmatique congénitale, où un orifice diaphragmatique laisse les organes abdominaux remonter dans le thorax, comprimant les poumons et compromettant leur développement.

Pour contrer la pression mécanique et favoriser la croissance pulmonaire, on peut obstruer temporairement la trachée fœtale. On utilise le même équipement que pour le syndrome de transfusion fœto-fœtale : on introduit un ballonnet dans la trachée, que l’on laisse en place trois à quatre semaines. Cela permet aux poumons de bénéficier de la sécrétion de facteurs de croissance. Ensuite, on retire le ballonnet.

À la naissance, les chances de respiration ou de réanimation sont optimisées. Dans les cas les plus sévères, où la survie est d’environ 10 %, on estime désormais la multiplier par deux ou trois. Ce n’est pas une guérison définitive, mais une nette amélioration. Pour la transfusion fœto-fœtale, nous sommes passés de 90 % de décès à 90 % de survie—le bénéfice est bien plus évident.

Après la hernie diaphragmatique, nous avons adapté la technique à l’arythmie fœtale, specifically le flutter auriculaire. Dans cette forme d’arythmie, les oreillettes battent beaucoup plus vite que les ventricules, évoluant vers une défaillance cardiaque. Si la thérapie pharmacologique échoue, nous utilisons les mêmes instruments endoscopiques.

Au lieu de cibler la trachée, nous allons dans l’œsophage. Nous passons une sonde de stimulation derrière l’oreillette qui bat incorrectement, et nous stimulons le cœur. Il s’arrête puis redémarre, généralement au bon rythme. Nous l’avons fait quelques fois. Les indications sont extrêmement rares, car ce problème est généralement résolu par médicaments. Mais pour les formes résistantes, la chirurgie fœtale est une option.

Nous avons ainsi développé tout un arsenal basé sur l’accès endoscopique au fœtus. Une équipe de Houston a ensuite utilisé l’endoscopie pour fermer le spina bifida in utero. Cette indication est beaucoup plus controversée, car il ne s’agit pas de vie ou de mort. Le fondement de la chirurgie fœtale était de prévenir une issue fatale ou des séquelles graves irréversibles avant la naissance.

Le reste devrait idéalement être reporté après la naissance, car le risque de la chirurgie fœtale réside dans l’intrusion uterine, pouvant provoquer un accouchement prématuré. Avec le spina bifida, on enfreint ce principe, car la malformation n’est pas guérie—les séquelles persistent.

Mais une grande étude clinique a montré une possible amélioration de la motricité. La chirurgie fœtale ne résout pas l’incontinence. Plusieurs équipes se sont donc lancées. En Europe, cette indication est très rare, car l’interruption de grossesse est généralement choisie. Aux États-Unis et ailleurs, où l’interruption est moins accessible, c’est une alternative en développement.

Nous traitons quelques cas par an ici aussi, par endoscopie sans ouvrir l’utérus. On dissèque la lésion et on pose quelques points de suture. Les myéloméningocèles sont vraiment à la limite des indications acceptables de la chirurgie fœtale. D’autres indications pourraient émerger à l’avenir.

Mais un obstacle majeur reste le tératome sacrococcygien, une tumeur massive et très vascularisée du sacrum, évoluant rapidement vers l’insuffisance cardiaque. Toutes les tentatives endoscopiques ou échographiques ont échoué jusqu’ici.

Cela pourrait être une des dernières indications pour la chirurgie ouverte intra-utérine, où l’on ouvre l’utérus. Mais cela expose la femme à des risques substantiels : rupture utérine, placenta accreta lors de grossesses futures. Dans notre pratique, c’est une limite que nous ne voulons pas franchir.

Nous sommes prêts à développer d’autres indications, mais pas au prix d’ouvrir l’utérus. Les femmes françaises n’y sont généralement pas favorables non plus. C’est probablement culturel et légal, car en France, l’interruption de grossesse est autorisée jusqu’au terme en cas de maladie fœtale grave.