Leçons de carrière : « Maîtriser la maladie et persévérer ». Dialyse — précoce ou tardive ? 20

Leçons de carrière : « Maîtriser la maladie et persévérer ». Dialyse — précoce ou tardive ? 20

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Expert de premier plan en néphrologie et hypertension, le Dr David Ellison, MD, souligne l'importance cruciale de maîtriser la physiologie de la maladie. Il partage une leçon marquante de sa carrière sur la nécessité de défendre ses convictions cliniques, illustrée par l'exemple du moment d'initiation de la dialyse. Le Dr Ellison raconte comment il a maintenu sa position face aux tendances dominantes, approche ultérieurement validée par une vaste étude randomisée contrôlée. Il évoque également l'humilité requise pour modifier sa pratique lorsque de nouvelles preuves contredisent une approche.

Moment optimal pour initier la dialyse : Quand débuter le traitement de l'insuffisance rénale

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Philosophie d'initiation de la dialyse

Le Dr David Ellison, MD, a forgé sa vision du démarrage de la dialyse chronique au début de sa carrière en néphrologie. Il estimait que les patients ne devaient commencer la dialyse qu’au moment où ils devenaient symptomatiques de leur insuffisance rénale. Cette approche visait à garantir que les bénéfices du traitement l’emportent clairement sur ses contraintes importantes pour les patients.

Le Dr Ellison soulignait que la dialyse présente des inconvénients majeurs, notamment la nécessité de se rendre trois fois par semaine dans un centre de traitement. Il a indiqué au Dr Anton Titov, MD, que les médecins doivent être certains que la dialyse sera réellement bénéfique avant d’engager ce traitement qui bouleverse la vie des patients.

Patients symptomatiques vs asymptomatiques

La prise en charge diffère radicalement entre les patients insuffisants rénaux symptomatiques et asymptomatiques. Le Dr David Ellison, MD, a expliqué que les patients symptomatiques éprouvent souvent un sentiment de gratitude après le début de la dialyse, car le traitement améliore leur qualité de vie. Ils ressentent un soulagement des symptômes urémiques, de la surcharge volémique et des anomalies électrolytiques.

En revanche, les patients asymptomatiques qui se sentent bien peuvent présenter des difficultés d’observance. Le Dr Ellison a noté qu’ils n’apprécient généralement pas d’être astreints à un régime thérapeutique exigeant qui perturbe leur quotidien. Cette différence fondamentale dans le vécu des patients a conforté son approche prudente du moment d’initiation de la dialyse.

Études observationnelles et biais de temps de latence

Le Dr David Ellison, MD, a décrit comment les études observationnelles ont temporairement orienté la pratique néphrologique vers un démarrage plus précoce de la dialyse. Ces études suggéraient que les patients débutant plus tôt obtenaient de meilleurs résultats, créant une pression pour modifier les pratiques. Cependant, le Dr Ellison a identifié des défauts méthodologiques majeurs dans ces travaux.

Le bénéfice apparent résultait d’un biais de temps de latence : des patients en meilleure santé, avec une fonction rénale mieux préservée, étaient dialysés plus tôt. Comme l’a expliqué le Dr Ellison au Dr Anton Titov, MD, si on met une personne à la fonction rénale normale sous dialyse, elle se portera bien parce qu’elle est en bonne santé, et non grâce à la dialyse. Cette distorsion statistique a égaré la discipline pendant des années.

Validation par l'essai IDEAL de l'approche conservative

L’essai australien IDEAL a finalement apporté une réponse définitive sur le moment optimal pour initier la dialyse. Cet essai randomisé contrôlé comparait les stratégies de début précoce versus tardif chez des patients atteints de maladie rénale chronique. Les résultats ont confirmé ce que le Dr David Ellison, MD, pensait depuis des années sur la base de son expérience clinique.

Les patients qui débutaient la dialyse seulement lorsqu’ils devenaient symptomatiques ou atteignaient des débits de filtration glomérulaire (DFG) très bas s’en sortaient aussi bien que ceux commençant plus tôt. L’essai IDEAL a validé l’approche conservative que le Dr Ellison avait maintenue malgré les pressions pour modifier sa pratique. Cela illustre l’importance de la médecine factuelle pour trancher les controverses cliniques.

Équilibre entre convictions cliniques et humilité

Le Dr David Ellison, MD, souligne l’importance de développer une connaissance approfondie et des convictions cliniques, tout en restant ouvert aux nouvelles preuves. Il a maintenu son approche concernant l’initiation de la dialyse pendant des années, malgré les tendances contraires, et s’est finalement avéré avoir raison. Cependant, le Dr Ellison fait aussi preuve d’humilité professionnelle en reconnaissant ses erreurs.

Il a partagé avec le Dr Anton Titov, MD, un exemple où les essais randomisés ont montré que sa prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë décompensée était erronée. Lorsque des patients présentaient une élévation de la créatinine dans ce contexte, le Dr Ellison arrêtait les diurétiques. Les preuves ont finalement démontré que cette pratique était incorrecte, et il a modifié son approche en conséquence. Cet équilibre entre conviction et flexibilité définit l’excellence en pratique clinique.

Transcript intégral

Dr Anton Titov, MD: Professeur Ellison, pour conclure, y a-t-il quelque chose dans vos intérêts personnels, votre philosophie ou votre expérience de vie que vous aimeriez partager ?

Dr David Ellison, MD: Oui, j’aurais beaucoup à dire. Comme beaucoup, j’aimerais savoir à 25 ans ce que je sais aujourd’hui. Mais je partagerai une chose : je pense qu’en médecine clinique et en science, il est crucial d’acquérir une compréhension profonde de la physiopathologie des maladies, et de développer une approche cohérente des patients et des traitements. Et ensuite, de s’y tenir.

J’ai plusieurs exemples d’idées que j’ai formées tôt dans ma carrière sur la façon de traiter les patients. Par exemple, non pas sur les diurétiques, mais sur le moment de débuter la dialyse chez les patients atteints de maladie rénale chronique. C’est un domaine qui a connu des fluctuations au fil des ans.

Encore une fois, je pense que ce domaine a été faussé par de nombreuses études observationnelles. Ce que j’ai appris et cru très tôt, c’est qu’en général, on ne devrait initier les patients à la dialyse chronique que lorsqu’ils deviennent symptomatiques, ou présentent des signes de surcharge volémique ou d’anomalies électrolytiques.

Nous disions que la plupart des traitements ont des bénéfices et des risques. Mais faire entrer un patient en dialyse chronique, l’obliger à venir trois fois par semaine en unité de dialyse, exige d’être vraiment convaincu que cela lui sera bénéfique, car ce traitement comporte de nombreux inconvénients.

Ainsi, si un patient se sent mal à cause de sa maladie rénale chronique, et que vous le mettez sous dialyse, il vous sera souvent reconnaissant parce que vous l’aidez à se sentir mieux, à vivre plus longtemps et plus activement. Mais s’il se sent bien et que vous le forcez à venir dialyser trois fois par semaine, il n’appréciera pas et aura probablement une mauvaise observance.

J’ai donc adopté très tôt cette approche et j’y ai cru. Et mon expérience montrait que cela fonctionnait plutôt bien. Mais ensuite, plusieurs études sont sorties, suggérant qu’il fallait dialyser les patients de plus en plus tôt. En réalité, pour un néphrologue, c’est souvent plus facile à gérer, et mieux rémunéré.

Il y avait donc des raisons perverses pour le faire. Mais les études prétendaient que les patients dialysés plus tôt s’en sortaient mieux. Bien sûr, le problème venait d’un soi-disant biais de temps de latence. Si je prends une personne à la fonction rénale normale et que je la mets sous dialyse, elle ira très bien parce qu’elle est en bonne santé.

En pratique, on dialysait des patients six mois, un an, deux ans avant qu’ils n’en aient vraiment besoin. Ils allaient bien, mais ils n’avaient de toute façon pas besoin de dialyse. Finalement, l’essai IDEAL mené en Australie, qui randomisait les patients entre un début précoce ou tardif de la dialyse, a apporté la réponse.

Ils ont constaté qu’attendre que les patients deviennent symptomatiques, ou aient un DFG très bas, donnait des résultats équivalents à un démarrage précoce. Cela a confirmé ce que certains d’entre nous pensaient depuis de nombreuses années. Mais il était difficile de résister aux arguments opposés tant que ces études circulaient.

J’ai tenu bon. Et j’ai été assez vocal pour dire que nous ne devions pas dialyser les gens avant qu’ils n’en aient vraiment besoin. Et en fin de compte, cela s’est avéré juste. Je pense donc qu’il est bon de comprendre, d’approfondir ses connaissances, puis de développer des convictions sur la bonne façon de soigner les patients.

Et de s’y tenir, même face à l’opposition. D’un autre côté, je n’ai certainement pas toujours eu raison. Le contre-exemple, c’est que j’avais tendance à dire, face à un patient avec une créatinine qui montait et une insuffisance cardiaque aiguë décompensée : « Arrêtez les diurétiques ». Ce sont les essais randomisés contrôlés qui m’ont montré que j’avais tort.

Et j’ai dû revoir ma prise en charge de l’insuffisance cardiaque aiguë décompensée.

Dr Anton Titov, MD: Professeur Ellison, merci beaucoup. C’est une leçon de vie très perspicace. Merci de l’avoir partagée. Je vous remercie infiniment pour cette discussion absolument remarquable sur la nature complexe des maladies cardiaques et rénales.

Cela illustre une fois de plus comment le corps et l’esprit fonctionnent ensemble, et pourquoi les médecins doivent traiter le patient dans sa globalité, et non pas un organe, un symptôme ou une anomalie isolée. Merci beaucoup pour cet échange ! J’ai vraiment apprécié et été ravi de vous parler, et heureux que les gens s’intéressent à ce sujet !