Selon l'éminente spécialiste en ophtalmologie pédiatrique, le Dr Dominique Bremond-Gignac, l'occlusion veineuse rétinienne chez l'enfant constitue un diagnostic rare mais grave. Souvent associée à des variants génétiques de thrombophilie sous-jacents, cette pathologie nécessite un bilan diagnostique complet ainsi qu'un traitement à long terme par aspirine à faible dose, afin de prévenir la formation de caillots sanguins systémiques dangereux.
Occlusion veineuse rétinienne chez l’enfant : diagnostic, causes génétiques et traitement
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- Qu’est-ce qu’une occlusion veineuse rétinienne ?
- Rareté extrême en population pédiatrique
- Difficultés diagnostiques et importance d’un bilan complet
- Lien génétique : variants de thrombophilie
- Implications systémiques au-delà de l’œil
- Traitement par aspirine à faible dose
- Importance du dépistage familial
- Transcript intégral
Qu’est-ce qu’une occlusion veineuse rétinienne ?
L’occlusion veineuse rétinienne est une affection oculaire dans laquelle un caillot sanguin obstrue l’une des veines drainant le sang de la rétine. Cette obstruction provoque un œdème papillaire (gonflement de la tête du nerf optique) et des hémorragies rétiniennes, pouvant entraîner une perte soudaine de la vision. Bien que plus fréquente chez les personnes âgées, sa survenue chez l’enfant est exceptionnellement rare et signale souvent un problème de santé systémique sous-jacent.
Rareté extrême en population pédiatrique
Comme le souligne le Dr Dominique Bremond-Gignac, l’occlusion veineuse rétinienne chez l’enfant est une « maladie très, très rare ». Le diagnostic est si inhabituel que lorsqu’un cas pédiatrique est identifié, il déclenche immédiatement une recherche exhaustive de la cause sous-jacente. Les recherches du Dr Bremond-Gignac sur une décennie, en collaboration avec des confrères européens via le réseau ERN-EYE (European Reference Network for rare eye diseases), n’ont initialement recensé que très peu de cas, soulignant la rareté de cette affection.
Difficultés diagnostiques et importance d’un bilan complet
Le diagnostic d’occlusion veineuse rétinienne pédiatrique exige une forte suspicion clinique, car sa présentation peut imiter d’autres pathologies. Un bilan diagnostique complet est essentiel. Celui-ci inclut un examen approfondi du fond d’œil et un bilan systémique complet pour écarter d’autres affections associées, comme une leucémie. L’objectif est de dépasser le symptôme oculaire pour identifier le problème systémique caché à l’origine du caillot sanguin.
Le Dr Anton Titov, intervieweur, note que ce processus révèle souvent « un diagnostic derrière le diagnostic », un problème systémique pouvant se manifester par d’autres tableaux plus dangereux.
Lien génétique : variants de thrombophilie
Une découverte cruciale de ces recherches est la forte association entre l’occlusion veineuse rétinienne pédiatrique et la thrombophilie génétique. La thrombophilie est une affection qui augmente la tendance du sang à former des caillots. Les travaux du Dr Bremond-Gignac ont montré que plusieurs enfants présentant une occlusion veineuse rétinienne avaient non pas un, mais deux variants spécifiques de thrombophilie.
Ce lien génétique explique le problème de fluidité sanguine conduisant à la formation d’un caillot dans la veine rétinienne délicate. L’identification de ces variants est une étape cruciale, car elle guide directement les stratégies de traitement et de prise en charge à long terme pour prévenir de futurs événements thrombotiques.
Implications systémiques au-delà de l’œil
La présence de variants de thrombophilie signifie que le risque de caillots sanguins ne se limite pas à l’œil. Comme le souligne le Dr Anton Titov, ces facteurs génétiques peuvent entraîner des conditions potentiellement mortelles. Des caillots sanguins peuvent se développer dans les membres inférieurs (thrombose veineuse profonde) et migrer vers les poumons, provoquant une embolie pulmonaire, laquelle présente un taux de mortalité élevé.
Le Dr Bremond-Gignac cite un exemple frappant issu de sa recherche : le père d’un jeune patient, porteur du même variant de thrombophilie, n’avait aucun problème oculaire mais présentait des antécédents de phlébite (inflammation veineuse souvent liée à des caillots). Ceci illustre comment la même mutation génétique peut causer différents événements thrombotiques chez différents membres d’une famille.
Traitement par aspirine à faible dose
Une fois le diagnostic d’occlusion veineuse rétinienne liée à une thrombophilie confirmé, le traitement peut débuter. Le Dr Dominique Bremond-Gignac et ses collègues ont placé tous les patients pédiatriques identifiés sous un régime d’aspirine à faible dose. L’aspirine agit comme un agent antiplaquettaire, aidant à maintenir la fluidité sanguine et à prévenir la formation de nouveaux caillots.
Ce traitement prophylactique à long terme est une stratégie clé dans la gestion du risque systémique posé par les variants génétiques de thrombophilie, protégeant le patient de futurs événements thrombotiques dans l’œil et ailleurs dans l’organisme.
Importance du dépistage familial
Puisque les variants de thrombophilie en cause sont génétiques, un diagnostic chez un enfant a des implications significatives pour toute sa famille. L’identification de la mutation permet un dépistage ciblé des parents, frères, sœurs et autres apparentés. Comme le montre le cas du père avec phlébite, d’autres membres de la famille peuvent être affectés par la même prédisposition génétique mais présenter des symptômes complètement différents.
Un dépistage familial proactif et un conseil génétique peuvent conduire à un diagnostic précoce et un traitement préventif pour les apparentés, évitant potentiellement des complications graves comme l’embolie pulmonaire. Le travail du Dr Bremond-Gignac souligne que traiter le patient signifie prendre soin de toute la famille.
Transcript intégral
Dr. Anton Titov: Qu’est-ce qu’une occlusion veineuse rétinienne chez l’enfant ? Et à quelle fréquence survient-elle ? Quelles sont les options thérapeutiques pour l’occlusion veineuse rétinienne ?
Dr. Dominique Bremond-Gignac: L’occlusion veineuse rétinienne chez l’enfant est une maladie très, très rare. J’ai une histoire qui pourrait être utile pour comprendre comment, en 10 ans, nous sommes arrivés à un diagnostic correct d’occlusion veineuse rétinienne.
La première fois que j’ai vu un garçon de six ans avec un fond d’œil très particulier, c’était si similaire à l’occlusion veineuse rétinienne de l’adulte. J’ai dit : « D’accord, c’est une occlusion veineuse rétinienne. » On m’a répondu : « C’est une situation très inhabituelle. Êtes-vous sûre ? C’est probablement autre chose. » J’ai dit : « Non, vraiment, cela semble être une occlusion veineuse rétinienne car il y a un œdème papillaire et une hémorragie rétinienne. » C’était unilatéral.
Nous avons réalisé un bilan diagnostique complet et avions plusieurs hypothèses diagnostiques. Nous avons découvert qu’il existait des variants de thrombophilie. On m’a dit : « Eh bien, c’est assez fréquent. » Mais il y avait deux variants de thrombophilie. J’ai dit : « D’accord, mais ce n’est qu’un cas. Vous êtes chercheur, mais vous ne pouvez pas affirmer avec un seul cas que la thrombophilie est la cause. »
Certes, l’occlusion veineuse rétinienne est une pathologie si inhabituelle. Elle pourrait être plus fréquemment causée par des pathologies généralement associées, comme une leucémie ou tous les problèmes systémiques. Mais face à un enfant en bonne santé, on se dit : « D’accord, nous devons investiguer davantage. » Lorsqu’on observe des variants de thrombophilie, on se dit : « Il y a un problème de fluidité du sang. » Donc on a un traitement car on peut utiliser l’aspirine à faible dose.
J’avais dans mon service un très bon étudiant en pharmacie. Je lui ai dit : « Vous avez un nystagmus dans un œil. Avez-vous eu des problèmes ? » Il a répondu : « Eh bien, j’avais 16 ans et j’ai eu un problème. On m’a dit que j’avais une occlusion veineuse rétinienne. » J’ai dit : « D’accord, pouvez-vous expliquer cela ? » Il a dit : « Nous avons fait un large bilan, mais on n’a rien trouvé, donc ça va. Je ne vois plus de cet œil, mais c’est bon. »
J’ai dit : « Pouvez-vous m’apporter votre bilan diagnostique ? » Sur le bilan, il y avait deux variants de thrombophilie. Donc nous avions maintenant deux patients. Mais deux patients ne suffisent pas.
Je fais partie d’ERN-EYE, un réseau européen de référence pour les maladies oculaires rares. J’ai demandé à mes collègues : « Avez-vous des cas d’occlusion veineuse rétinienne chez l’enfant ? » Ils ont répondu : « Non, je n’en ai pas. » Un collègue de Pologne a dit : « Oh, oui, j’ai un patient avec une occlusion veineuse rétinienne. J’ai deux tels patients. » J’ai dit : « Wow, d’accord. Pourriez-vous me dire exactement ce qui s’est passé ? »
J’ai vu les photos du fond d’œil et j’ai dit : « Eh bien, c’est exactement une occlusion veineuse rétinienne. » Nous avons essayé d’obtenir les deux enfants, mais nous n’avons eu qu’un enfant avec occlusion veineuse rétinienne. Nous avons également fait la recherche génétique pour les variants de thrombophilie, et ils étaient également porteurs de variants de thrombophilie. Donc trois patients. C’est bien, mais pas parfait.
Je discutais avec des collègues français, et un collègue a dit : « Oui, je connais quelqu’un. C’est une jeune fille de 17 ans. Je pense qu’elle a eu cela. » J’ai vu la jeune fille. J’ai essayé de la voir, et les parents ont dit : « D’accord, elle étudie en Espagne. Elle sera à la maison pour les vacances et libre de vous voir. » Je l’attendais, et elle n’est pas venue. J’étais très déçue.
J’ai appelé les parents. Ils ont dit : « D’accord, eh bien, le problème est que le grand-père vient de décéder. » J’étais désolée. Ils ont dit : « Pas d’inquiétude, revenez quand vous aurez le temps. » Ils sont revenus quand ils ont eu le temps. Nous avons exploré le diagnostic. Elle avait les mêmes variants de thrombophilie. Donc nous avons quatre cas d’occlusion veineuse rétinienne causés par des variants de thrombophilie.
C’était bien. Nous en discutions avec son père. Il n’avait pas de problème oculaire, mais il avait eu des problèmes de phlébite. Donc vraiment, c’était bon. Nous avons mis tous ces enfants sous traitement par aspirine à faible dose et avons écrit une publication scientifique.
Après la publication, un collègue en France m’a appelée. Ils avaient un cas de variants de thrombophilie. Parfois, on a en tête un problème spécifique, et on essaie de le résoudre. On se dit : « D’accord, j’ai individualisé ce problème. » Maintenant, nous travaillons sur d’autres patients avec des variants de thrombophilie et une occlusion veineuse rétinienne car cela pourrait être très intéressant à comprendre.
Donc vraiment, cela a pris du temps—dix ans—mais ça fonctionne. C’est une illustration très intéressante du fait que parfois un diagnostic... les gens ont bien reçu le diagnostic : occlusion veineuse rétinienne. Voilà, c’est votre diagnostic. Mais ce n’est pas seulement le diagnostic. C’est un symptôme derrière lequel se cache un problème systémique qui peut se manifester par d’autres tableaux.
Des caillots sanguins peuvent survenir non seulement dans la veine rétinienne mais aussi dans les membres inférieurs. Des caillots sanguins peuvent migrer vers les poumons et causer une embolie pulmonaire avec un taux de mortalité élevé. Les problèmes de caillots sanguins peuvent avoir des implications aussi pour d’autres membres de la même famille qui pourraient porter ce gène de thrombophilie. Ce variant ou cette mutation génétique peut les affecter.
Parfois, il y a un diagnostic derrière le diagnostic. Il peut être complètement caché.
Dr. Anton Titov: C’est vrai. Merci.