Le docteur Randy Cron, spécialiste de renom des syndromes de tempête cytokinique, rapporte un cas dramatique chez une adolescente souffrant de panniculite histiocytaire cytophagique. Celle-ci a développé une tempête cytokinique potentiellement mortelle, accompagnée d'une défaillance multiviscérale. Le docteur Cron et son équipe ont eu recours à un traitement innovant : l'anakinra, un bloqueur de l'interleukine-1. La patiente s'est réveillée d'un coma en deux jours et a quitté les soins intensifs en six jours. Ce cas a orienté les recherches du docteur Cron sur les mécanismes des tempêtes cytokiniques.
Diagnostic et traitement de la panniculite histiocytaire cytophagique et de l’orage cytokinique
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- Présentation d’une pathologie rare
- Évolution vers une défaillance multiviscérale
- Critères diagnostiques de l’orage cytokinique
- Démarche thérapeutique initiale
- Anakinra : une intervention révolutionnaire
- Résultats cliniques de la patiente
- Transcript intégral
Présentation d’une pathologie rare
Le Dr Randy Cron, MD, relate le cas d’une patiente de 14 ans atteinte d’une maladie extrêmement rare : la panniculite histiocytaire cytophagique. Cette affection se caractérise par une inflammation sévère du tissu adipeux. La jeune fille présentait des fièvres quotidiennes élevées depuis l’âge de six mois. L’inflammation chronique et les traitements corticostéroïdes avaient gravement compromis sa croissance. À 14 ans, elle avait la taille moyenne d’une enfant de sept ans.
Évolution vers une défaillance multiviscérale
Son état s’est rapidement aggravé après un traitement initial associant glucocorticoïdes et ciclosporine. Admise en réanimation en défaillance multiviscérale, elle présentait, selon le Dr Randy Cron, MD, une insuffisance cardiaque nécessitant trois inotropes, un syndrome de détresse respiratoire aiguë, une insuffisance rénale et une pancréatite. Une coagulopathie s’est également déclarée, et elle est tombée dans le coma suite à une crise convulsive.
Critères diagnostiques de l’orage cytokinique
Le Dr Cron a confirmé que son état correspondait aux critères d’un orage cytokinique sévère. Les cytokines pro-inflammatoires étaient fortement élevées dans son sang et son liquide céphalorachidien. Les oncologues consultés ont initié un protocole à base d’étoposide (VP-16), un agent chimiothérapeutique visant à éradiquer le système immunitaire pour maîtriser l’orage, en vue d’une éventuelle greffe de moelle osseuse.
Démarche thérapeutique initiale
Malgré un traitement agressif associant étoposide, ciclosporine et stéroïdes, son état a continué de se dégrader. Ses taux de ferritine et ses enzymes hépatiques ont augmenté brutalement. Le Dr Randy Cron, MD, et son collègue, le Dr Ed Behrens, consultés en réanimation, ont constaté le pronostic défavorable et la nécessité d’une approche thérapeutique novatrice.
Anakinra : une intervention révolutionnaire
S’inspirant des travaux de leur collègue le Dr Virginia Pascual, le Dr Cron a proposé l’anakinra, un antagoniste recombinant du récepteur de l’interleukine-1. Ce médicament avait démontré son efficacité chez des enfants atteints d’arthrite juvénile idiopathique systémique, également à risque d’orage cytokinique. Après concertation avec la famille et l’équipe soignante, il a été administré en dernier recours.
Résultats cliniques de la patiente
La réponse à l’anakinra a été rapide et spectaculaire. Selon le Dr Randy Cron, MD, la patiente s’est réveillée de son coma en deux jours. Elle a quitté la réanimation en six jours et l’hôpital en deux semaines. Ce cas a mis en lumière le potentiel du blocage ciblé des cytokines et a incité le Dr Cron à réorienter ses recherches vers l’étude des orages cytokiniques.
Transcript intégral
Dr Anton Titov, MD : Professeur Cron, pourriez-vous nous relater une vignette clinique illustrant les sujets abordés aujourd’hui ?
Dr Randy Cron, MD : Oui, je vais vous parler de cette patiente que j’ai évoquée, vue à Philadelphie avec mon collègue, le Dr Ed Behrens. Il était alors interne, déjà pédiatre, en voie de spécialisation en rhumatologie pédiatrique.
Nous l’avons reçue en consultation. Elle avait 14 ans à l’époque et souffrait d’une pathologie chronique extrêmement rare : la panniculite histiocytaire cytophagique. Une maladie que je ne connaissais pas et que je n’espère jamais revoir.
Cette jeune fille malheureuse avait des fièvres quotidiennes très élevées, jusqu’à 40°C, depuis l’âge de six mois. Dans le cadre de cette panniculite, une inflammation de son tissu adipeux, son système immunitaire l’avait privée de graisse.
Lorsque nous l’avons rencontrée à 14 ans, elle avait la taille d’une enfant de sept ans. Nous avons attribué cela à l’inflammation chronique, qui freine la croissance, ou aux glucocorticoïdes utilisés pour la contrôler, qui l’inhibent également.
Elle avait donc eu une vie difficile. Elle nous consultait pour des douleurs abdominales. À l’examen, elle présentait une hépatomégalie et un état inflammatoire. Nous avons initié un traitement par glucocorticoïdes, efficace à court terme.
Nous avons débuté les stéroïdes ; elle avait déjà essayé de nombreux traitements. Avant notre rencontre, elle était même allée aux NIH et avait testé un inhibiteur du TNF. Des craintes quant à d’éventuels effets neurologiques l’avaient conduite à l’arrêter.
Lors de notre consultation, elle ne suivait plus que des séances d’acupuncture depuis environ un an et demi. Nous avons donc instauré un traitement associant stéroïdes et ciclosporine, un immunosuppresseur qui bloque largement la fonction lymphocytaire et la production de cytokines.
Elle s’est légèrement améliorée, mais malheureusement, en un mois, elle a été hospitalisée, puis transférée en réanimation.
Elle a fait une crise convulsive et est tombée dans le coma, en défaillance multiviscérale. Son cœur défaillait ; elle recevait trois inotropes pour maintenir sa pression artérielle et sa fonction cardiaque. Elle était en syndrome de détresse respiratoire aiguë.
Ses poumons, opacifiés à l’imagerie, étaient envahis de liquide ; elle était sous ventilation à haut débit pour l’oxygénation. Ses reins défaillaient ; elle avait une pancréatite, toujours grave.
Ses lignées cellulaires étaient effondrées. Son système immunitaire était déréglé. Elle présentait une coagulopathie, ou CIVD, au point d’être très sujette aux hémorragies. Et son système nerveux central était sévèrement atteint.
Nous avons mesuré des taux élevés de cytokines pro-inflammatoires dans son sang et son LCR. Personnellement, c’est l’enfant la plus grave que j’aie jamais vue s’en sortir indemne de réanimation.
C’était en 2004. Les oncologues pédiatres avaient été appelés, car avant l’ère des bloqueurs de cytokines, on utilisait l’étoposide (VP-16), un chimiothérapeutique qui éradique le système immunitaire pour contrôler l’orage, en vue d’une greffe de moelle.
Elle remplissait aisément les critères d’orage cytokinique. Les oncologues, forts d’études ouvertes, avaient documenté les bénéfices de ce protocole.
Elle a reçu de l’étoposide, associé à des doses élevées de ciclosporine et de stéroïdes. Finalement, on nous a rappelés en réanimation, car son état empirait. Ses marqueurs, dont la ferritine et les enzymes hépatiques, augmentaient.
Cliniquement, elle nécessitait plus de support. Elle déclinait. C’est alors que le Dr Virginia Pascual, alors à Dallas—aujourd’hui à New York—avait rapporté l’utilisation de l’anakinra, une protéine recombinante bloquant les interleukines 1 alpha et bêta.
Elle l’avait décrit comme salvateur pour 10 enfants gravement atteints d’arthrite juvénile idiopathique systémique. Nous étions au courant. Sachant que ces enfants présentaient un risque élevé d’orage cytokinique, similaire à cette adolescente, nous avons pensé que cela pourrait l’aider.
Rassurés par son profil de sécurité—testé dans la polyarthrite rhumatoïde et le sepsis—nous avons proposé ce traitement à la famille et à l’équipe soignante. J’étais convaincu qu’elle ne survivrait pas autrement.
En deux jours, elle s’est réveillée de son coma. En six jours, elle a quitté la réanimation. En deux semaines, elle sortait de l’hôpital. Mon collègue est resté à l’Hôpital pour Enfants de l’Université de Pennsylvanie et l’a suivie jusqu’à son passage en rhumatologie adulte.
Sa vie n’a pas été simple ensuite, mais elle a clairement bénéficié de l’anakinra. Pour ma part—je travaillais alors sur le lupus et le SIDA d’un point de vue immunologique—cette expérience m’a conduit à réorienter mon laboratoire vers l’étude des orages cytokiniques.
Voir une situation désespérée se retourner avec l’ajout d’un seul médicament a été déterminant.