Prévention des hémorragies digestives hautes chez les patients hospitalisés : informations essentielles.

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Cette revue complète examine la prévention des hémorragies digestives hautes chez les patients hospitalisés, notamment en réanimation. Les chercheurs ont observé que si les antisécrétaires gastriques réduisent le risque hémorragique de 60 à 80 %, ils pourraient aussi augmenter celui de pneumonie de 20 à 40 %. L’étude indique que l’incidence des saignements varie de 0,23 % dans les services généraux à 2,8–4,7 % en soins intensifs (USI), la ventilation mécanique et les troubles de la coagulation constituant les facteurs de risque les plus significatifs. Les auteurs remettent en question le rapport bénéfice-risque d’une inhibition acide systématique pour de nombreux patients hospitalisés.

Prévention des hémorragies digestives hautes chez les patients hospitalisés : ce que les patients doivent savoir

Table des matières

Introduction : pourquoi c'est important pour les patients hospitalisés

Depuis une quarantaine d'années, les médecins prescrivent des médicaments antisécrétoires gastriques pour prévenir les hémorragies digestives hautes chez les patients gravement malades hospitalisés. Ces médicaments sont administrés à 80-90 % des patients en soins intensifs (USI) à travers le monde. Cependant, des recherches récentes remettent en question si leurs bénéfices surpassent toujours les risques potentiels.

Cet article explique ce qu'est une hémorragie digestive haute, qui est à risque, comment les médecins tentent de la prévenir et ce que disent les dernières recherches sur les meilleures approches de protection. Comprendre ces questions peut aider les patients et leurs familles à avoir des discussions plus éclairées avec leurs équipes soignantes sur les stratégies de prévention pendant l'hospitalisation.

Comprendre les différents types d'hémorragie digestive

L'hémorragie digestive haute désigne un saignement survenant dans l'œsophage (le tube reliant la bouche à l'estomac), l'estomac ou le duodénum (la première partie de l'intestin grêle). Les médecins classent ces saignements en deux types principaux :

  • Hémorragie primaire : saignement constituant la raison principale d'admission à l'hôpital
  • Hémorragie secondaire : saignement survenant pendant l'hospitalisation pour d'autres problèmes médicaux

Les patients développant une hémorragie pendant l'hospitalisation (hémorragie secondaire) tendent à être plus âgés, plus gravement malades et plus susceptibles d'avoir d'autres pathologies comme une cardiopathie, une pneumopathie ou une insuffisance rénale chronique comparés aux patients admis spécifiquement pour des problèmes hémorragiques.

La plupart des efforts de prévention visent à éviter l'hémorragie secondaire avant qu'elle ne débute, soit chez les patients ayant des antécédents digestifs, soit chez ceux pouvant développer de nouveaux problèmes gastriques dus au stress de l'hospitalisation.

Comment le stress affecte votre estomac pendant la maladie

Votre estomac produit normalement un acide fort (avec un pH d'environ 2) pour aider à digérer les aliments et tuer les bactéries nocives. Malgré cet environnement acide, votre estomac possède plusieurs systèmes de protection intégrés :

  • Une couche de mucus protectrice recouvrant la paroi gastrique
  • Des prostaglandines et du monoxyde d'azote aidant à maintenir cette barrière protectrice
  • Une bonne vascularisation apportant oxygène et bicarbonate pour neutraliser l'acide
  • Des capteurs d'acidité réduisant la production acide quand le pH baisse trop

Pendant une maladie grave, ces systèmes protecteurs peuvent dysfonctionner. L'inflammation, une mauvaise perfusion digestive, une hypovolémie, un choc ou un bas débit cardiaque peuvent léser la muqueuse gastrique. Ces lésions, combinées à la production acide persistante, peuvent entraîner des érosions (lésions superficielles) ou des ulcères (lésions plus profondes) susceptibles de saigner.

Bien que l'acide soit souvent incriminé, la recherche suggère que l'altération de la barrière protectrice gastrique pourrait être plus importante que l'acide lui-même dans la survenue d'hémorragies pendant les maladies critiques.

Quelle est la fréquence des hémorragies nosocomiales ?

La fréquence des hémorragies digestives chez les patients hospitalisés varie significativement selon leur état de santé et les mesures préventives reçues :

Données historiques (il y a 50 ans) : Des études des années 1970 ont montré que 75-100 % des patients critiques, blessés ou brûlés présentaient des lésions gastriques à l'endoscopie. À cette époque, 15-50 % des patients critiques avaient des saignements occultes, tandis que 5-25 % présentaient des saignements visibles s'ils ne recevaient pas de traitement préventif.

Données actuelles chez les patients de réanimation : Une large étude internationale de 2015 portant sur 1 034 patients d'USI divers a trouvé que 4,7 % (49 patients) avaient des saignements visibles. Cependant, seulement 2,8 % (29 patients) avaient ce que les médecins considèrent comme une hémorragie "cliniquement significative" - suffisamment grave pour nécessiter des transfusions ou autres interventions.

Certains groupes à haut risque ont des taux bien plus élevés. Les patients avec troubles de la coagulation ou sous assistance circulatoire (dispositifs de suppléance vitale avancée) avaient des taux d'hémorragie de 13,6 % dans une étude portant sur 132 patients.

Patients hospitalisés hors réanimation : Les hémorragies sont beaucoup moins fréquentes chez les patients des services conventionnels. Les études montrent des taux variant de 0,005 % à 0,4 % chez les patients de médecine générale. Cependant, des groupes spécifiques à haut risque, comme les patients avec insuffisance rénale aiguë, peuvent avoir des taux atteignant 7,8 %.

Qui présente le plus de risque de complications hémorragiques ?

La recherche a identifié plusieurs facteurs augmentant significativement le risque d'hémorragie digestive pendant l'hospitalisation :

Facteurs de risque majeurs pour les patients de réanimation :

  • Ventilation mécanique pendant 48 heures ou plus (risque multiplié par 15,6)
  • Troubles de la coagulation (risque multiplié par 4,5)
  • Trois comorbidités ou plus (risque multiplié par 8,9)
  • Hépatopathie (risque multiplié par 7,6)
  • Épuration extrarénale (dialyse) (risque multiplié par 6,9)
  • Coagulopathie aiguë (risque multiplié par 4,2)
  • Scores élevés de défaillance d'organe (risque multiplié par 1,4 par point supplémentaire)

D'autres facteurs de risque significatifs incluent les lésions neurologiques (comme un traumatisme crânien) combinées à un stress physiologique sévère, l'assistance circulatoire, et certains médicaments comme les antisécrétoires gastriques (qui peuvent être prescrits parce que les patients sont déjà à haut risque).

Facteurs de risque pour les patients hors réanimation :

  • Âge supérieur à 60 ans
  • Sexe masculin
  • Hépatopathie
  • Insuffisance rénale aiguë
  • Sepsis (infection sanguine grave)
  • Prise en charge par des services médicaux (plutôt que chirurgicaux)
  • Anticoagulation prophylactique
  • Troubles de la coagulation avec ou sans antiagrégants plaquettaires
  • Traitement anticoagulant
  • Médication par clopidogrel

Les chercheurs ont identifié qu'environ 13 % des patients hospitalisés entrent dans une catégorie à haut risque où le bénéfice potentiel des médicaments préventifs pourrait être maximal.

Quelles conséquences l'hémorragie a-t-elle sur la récupération et la survie ?

L'hémorragie digestive pendant l'hospitalisation peut significativement affecter le pronostic des patients :

Pour les patients de réanimation : Une hémorragie cliniquement significative est associée à 4-8 jours supplémentaires en réanimation et peut augmenter le risque de décès. Une étude a trouvé que l'hémorragie était associée à une augmentation de 70 % du risque de mortalité à 90 jours, bien que ce résultat ne soit pas statistiquement définitif (odds ratio 1,7 ; intervalle de confiance à 95 % 0,7 à 4,3). Pour les patients sous assistance circulatoire, l'hémorragie digestive était associée à un risque de décès hospitalier presque 6 fois plus élevé.

Pour les patients hors réanimation : L'impact de l'hémorragie dépend des pathologies sous-jacentes et de l'importance de la perte sanguine. Le choc, le sepsis, l'insuffisance rénale et la cirrhose sont associés à un risque accru de décès chez les patients faisant une hémorragie pendant l'hospitalisation.

Médicaments utilisés pour prévenir les hémorragies

Les médecins utilisent deux types principaux de médicaments antisécrétoires gastriques pour prévenir les hémorragies de stress :

  1. Antihistaminiques H2 : Ces médicaments étaient les plus utilisés pendant de nombreuses années. Ils réduisent la production acide en bloquant les récepteurs à l'histamine dans l'estomac.
  2. Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : Ce sont maintenant les médicaments les plus prescrits pour la prévention des hémorragies. Ils agissent en bloquant plus complètement la production acide.

Une autre approche est la nutrition entérale (alimentation par sonde gastrique ou intestinale). La présence d'aliments dans l'estomac peut tamponner l'acide, stimuler la production de prostaglandines et améliorer la perfusion de la muqueuse gastrique. Certaines recherches suggèrent qu'une alimentation précoce pourrait augmenter le pH gastrique plus efficacement que l'inhibition acide et pourrait théoriquement réduire le risque hémorragique tout en prévenant la dénutrition nosocomiale.

Les bénéfices des médicaments antisécrétoires gastriques

Une analyse complète de 57 essais cliniques incluant des milliers de patients fournit les meilleures preuves sur l'efficacité des différentes stratégies préventives :

IPP vs antihistaminiques H2 : Les IPP réduisent le risque hémorragique de 60 % (odds ratio 0,4 ; IC 95 % 0,2 à 0,7)

IPP vs absence de traitement/placebo : Les IPP réduisent le risque hémorragique de 80 % (odds ratio 0,2 ; IC 95 % 0,1 à 0,6)

IPP vs sucralfate : Les IPP réduisent le risque hémorragique de 70 % (odds ratio 0,3 ; IC 95 % 0,1 à 0,7)

Cette analyse de 31 essais incluant 5 283 patients fournit des preuves de qualité modérée que les inhibiteurs de la pompe à protons sont les médicaments les plus efficaces pour prévenir les hémorragies digestives cliniquement significatives. Important : aucune option préventive n'a montré de différence significative sur la mortalité globale selon les données de 36 essais avec 5 498 patients.

Risques et effets secondaires potentiels de la prévention

L'inquiétude grandit que les médicaments antisécrétoires gastriques puissent augmenter le risque d'infections nosocomiales, particulièrement de pneumonies :

Mécanisme : L'acide gastrique aide à protéger contre les bactéries nocives. Réduire l'acidité peut modifier le microbiome intestinal (l'ensemble des bactéries de votre système digestif) et permettre à des bactéries dangereuses de proliférer, pouvant ensuite être inhalées dans les poumons.

Preuves d'un risque accru de pneumonie : L'analyse en réseau a trouvé des preuves de qualité modérée que les IPP et les antihistaminiques H2 pourraient augmenter le risque de pneumonie comparés à l'absence de traitement, bien que les intervalles de confiance soient larges.

Des études supplémentaires soutiennent cette inquiétude :

  • Chez 35 312 patients sous ventilation mécanique, ceux recevant des IPP avaient un risque accru de 20 % de pneumonie associée au ventilateur (odds ratio 1,2 ; IC 95 % 1,03 à 1,41)
  • Chez 21 214 patients de chirurgie cardiaque, les IPP augmentaient le risque de pneumonie nosocomiale de 19 % comparés aux antihistaminiques H2 (risque relatif 1,19 ; IC 95 % 1,03 à 1,38)

Ces infections sont préoccupantes car elles sont plus fréquentes que les événements hémorragiques et sont associées à une morbidité, une mortalité et des coûts de santé plus élevés.

Recommandations actuelles et perspectives futures

Sur la base des preuves actuelles, les chercheurs suggèrent une approche plus réfléchie de la prévention des hémorragies :

Pour les patients de réanimation à haut risque : Ceux sous ventilation mécanique pendant ≥48 heures ou présentant une coagulopathie sont susceptibles de bénéficier d'une prophylaxie, les inhibiteurs de la pompe à protons semblant les plus efficaces.

Pour les patients à moindre risque : Les bénéfices d'une suppression acide systématique sont moins évidents, et les risques potentiels de pneumonie peuvent l'emporter sur les avantages.

Nutrition entérale : L'alimentation précoce par sonde peut offrir une protection contre les hémorragies tout en évitant les risques infectieux liés à la suppression acide. Cependant, cette approche n'a pas été directement comparée aux médicaments dans les essais cliniques.

Besoins de recherche future : Les études devraient se concentrer sur une meilleure identification des patients qui bénéficient réellement de la prévention, comparer directement la nutrition entérale à la suppression acide, et développer des approches plus ciblées maximisant les bénéfices tout en minimisant les risques.

Ce que cette recherche ne nous dit pas

Bien que cette revue fournisse des informations complètes, plusieurs limitations importantes persistent :

  • La plupart des études comparaient différentes stratégies de prévention plutôt que de comparer la prévention à l'absence de traitement
  • Les preuves directes concernant les bénéfices de la nutrition entérale spécifiquement pour la prévention des hémorragies sont limitées
  • L'équilibre exact entre bénéfices et risques peut varier selon des sous-groupes spécifiques de patients
  • Les résultats à long terme au-delà du séjour hospitalier sont peu étudiés
  • Davantage de recherches sont nécessaires sur la meilleure façon d'identifier les patients qui bénéficieront le plus de la prévention

Ces limitations signifient que les médecins doivent individualiser les décisions concernant la prévention des hémorragies en fonction des facteurs de risque spécifiques et de la situation clinique de chaque patient.

Informations sur la source

Titre de l'article original : Prophylaxis against Upper Gastrointestinal Bleeding in Hospitalized Patients

Auteurs : Deborah Cook, M.D., et Gordon Guyatt, M.D.

Publication : The New England Journal of Medicine, 28 juin 2018

DOI : 10.1056/NEJMra1605507

Cet article vulgarisé est basé sur une recherche évaluée par les pairs du New England Journal of Medicine. Il conserve toutes les données originales, statistiques et conclusions tout en traduisant les informations médicales techniques dans un langage accessible aux patients et aux familles.