Douleurs abdominales inexpliquées chez un adolescent : le diagnostic méconnu du trichobézoard. A23

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Cet article décrit le cas d’une adolescente de 16 ans présentant des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements évoluant depuis quatre semaines, chez qui on a finalement diagnostiqué un trichobézoard massif s’étendant de l’estomac à l’intestin grêle. Malgré plusieurs passages aux urgences et des examens d’imagerie initiaux sans particularité, le diagnostic n’a été confirmé que par endoscopie, nécessitant une ablation chirurgicale. Ce cas met en lumière la façon dont des troubles psychiatriques comme la trichotillomanie peuvent engendrer de graves complications somatiques, et souligne l’importance d’une évaluation approfondie face à des symptômes gastro-intestinaux inexpliqués.

Douleur abdominale inexpliquée chez une adolescente : le diagnostic caché de la boule de poils

Table des matières

Contexte : pourquoi ce cas est important

Ce cas illustre comment des symptômes abdominaux apparemment inexpliqués peuvent parfois avoir des causes surprenantes, nécessitant une enquête minutieuse de la part des équipes médicales. Pour les patients souffrant de troubles gastro-intestinaux persistants, il souligne l’importance de prendre en compte à la fois les facteurs physiques et psychologiques pouvant contribuer au diagnostic.

L’histoire de cette patiente montre comment des troubles débutant par des comportements spécifiques peuvent évoluer vers des problèmes médicaux graves, exigeant une intervention chirurgicale. Cette intersection entre santé mentale et santé physique est essentielle à comprendre, tant pour les patients que pour les médecins.

Présentation du cas : l'histoire de la patiente

Une jeune fille de 16 ans a développé des douleurs abdominales intermittentes, s’aggravant progressivement sur quatre semaines. Initialement espacés de quelques jours, les épisodes douloureux sont passés à deux fois par jour, chacun durant environ deux minutes. Deux semaines après le début des symptômes, des nausées sont apparues, accompagnées de trois épisodes de vomissements.

Lors de sa première visite aux urgences, on a constaté une fréquence cardiaque élevée à 105 battements par minute, une sensibilité abdominale avec défense (tension musculaire indiquant une douleur), et des valeurs biologiques anormales, notamment une leucocytose à 14 900 par microlitre (normale : 4 500–13 000) et une hémoglobine basse à 11,3 g/dL (normale : 12,0–16,0). Malgré ces observations, l’échographie abdominale initiale était normale.

Au cours des semaines suivantes, ses symptômes ont continué à s’aggraver. Elle n’a pas pu assister régulièrement à l’école en raison de la douleur, et une semaine avant son admission définitive, celle-ci la réveillait pendant son sommeil. Le jour de son admission au Massachusetts General Hospital, ses épisodes douloureux duraient 15 minutes, avec cinq épisodes de vomissements.

Examen clinique et résultats des tests

Lors de l’examen final, la patiente présentait une fréquence cardiaque de 84 battements par minute, une tension artérielle de 113/78 mm Hg, et un indice de masse corporelle de 25,8. Elle avait des haut-le-cœur pendant l’examen et une sensibilité abdominale diffuse avec défense, mais sans douleur à la décompression.

Les examens biologiques ont révélé des anomalies préoccupantes :

  • Leucocytes : 15 720 par microlitre (élevés, normale : 4 500–13 000)
  • Hémoglobine : 10,8 g/dL (basse, normale : 12,0–16,0)
  • Plaquettes : 620 000 par microlitre (élevées, normale : 150 000–450 000)
  • Vitesse de sédimentation : 32 mm/h (élevée, normale : 0–19)

Le scanner abdominal (tomodensitométrie, TDM) a montré un contenu gastrique, mais aucune obstruction évidente ou autre anomalie n’a été initialement notée. Le radiologue a ultérieurement identifié un aspect moucheté dans la lumière gastrique, compatible avec un bézoard (masse de matériel étranger).

Diagnostic différentiel : quelles hypothèses ?

L’équipe médicale a envisagé plusieurs causes possibles à ses symptômes, en évaluant systématiquement chaque hypothèse :

Pathologies courantes initialement envisagées :

  • Constipation : improbable en raison d’un examen rectal normal et de l’absence de distension abdominale
  • Troubles fonctionnels gastro-intestinaux : improbables car les symptômes la réveillaient et s’aggravaient progressivement
  • Gastrite : improbable sans facteurs de risque typiques comme la surconsommation d’AINS ou d’alcool
  • Gastroparésie post-virale : improbable sans infection virale préalable

Causes mécaniques sérieusement envisagées :

  • Malrotation avec volvulus : possible mais improbable avec une imagerie normale
  • Invagination intestinale : possible mais improbable avec deux échographies normales
  • Maladie de Crohn : improbable en raison de la progression rapide des symptômes
  • Obstruction de la jonction gastro-duodénale : la plus probable compte tenu du tableau clinique

L’indice diagnostique clé était le pattern de douleur sévère brutale suivie de vomissements apportant un soulagement temporaire, suggérant une obstruction de la jonction gastro-duodénale.

Diagnostic final : trichobézoard (boule de poils)

L’endoscopie a révélé le diagnostic définitif : un volumineux trichobézoard (boule de poils) s’étendant de l’estomac jusqu’au duodénum (première partie de l’intestin grêle). Cette condition est connue sous le nom de syndrome de Rapunzel lorsque la masse de poils s’étend dans l’intestin grêle.

Les trichobézoards se forment lorsque des poils ingérés s’accumulent dans l’estomac, résistant à la digestion et au péristaltisme (mouvements musculaires digestifs). Les poils se dénaturent sous l’effet de l’acide gastrique et se combinent avec des aliments pour former une masse feutrée pouvant grossir jusqu’à provoquer une obstruction.

Cette patiente avait des antécédents de pica (ingestion de substances non alimentaires) dans l’enfance, ce qui a éveillé les suspicions pour ce type de pathologie, bien qu’aucun comportement actuel d’arrachage de cheveux n’ait été initialement mentionné.

Prise en charge clinique : approche thérapeutique

Les options thérapeutiques pour les trichobézoards incluent la digestion enzymatique, l’extraction endoscopique ou l’intervention chirurgicale. Pour les gros trichobézoards s’étendant dans l’intestin grêle, l’ablation chirurgicale est généralement nécessaire.

Cette patiente a nécessité une laparotomie exploratrice (incision abdominale chirurgicale) et une gastrostomie (ouverture stomacale) pour l’ablation. Pendant l’intervention, le trichobézoard s’est confirmé s’étendre à travers le pylore (sortie de l’estomac) jusqu’au bulbe duodénal. La masse entière a été retirée avec succès par l’ouverture de gastrostomie.

L’approche chirurgicale a été choisie car :

  • La digestion enzymatique est inefficace pour les bézoards de poils
  • L’extraction endoscopique n’était pas réalisable en raison de la taille et de l’extension dans l’intestin grêle
  • La chirurgie laparoscopique échoue souvent pour les gros bézoards en raison de la durée opératoire prolongée et du risque infectieux

Une revue de la littérature citée dans l’article montre que 93 % des patients avec trichobézoard subissent une laparotomie, avec 99 % de taux de succès mais 12 % de taux de complications.

Aspects psychiatriques : comprendre la cause sous-jacente

L’aspect le plus crucial de la prise en charge à long terme implique de traiter la condition psychiatrique sous-jacente conduisant à l’ingestion de poils. La trichophagie (ingestion de cheveux) est le plus souvent associée à la trichotillomanie, un trouble du comportement répétitif centré sur le corps.

La trichotillomanie affecte 1 à 2 % de la population mondiale et implique un arrachage récurrent des cheveux entraînant une perte capillaire, des tentatives répétées pour arrêter le comportement, et une détresse ou une altération cliniquement significative. Sans traitement de la condition psychiatrique sous-jacente, les bézoards risquent de récidiver.

Cette patiente avait des antécédents de trouble anxieux et d’anémie ferriprive, ainsi que des antécédents familiaux de dépression et d’anxiété chez son père. Ces facteurs ont pu contribuer au développement des comportements d’arrachage et d’ingestion de cheveux.

Implications pour les patients

Ce cas offre plusieurs enseignements importants pour les patients et les familles :

Pour les patients avec symptômes gastro-intestinaux inexpliqués :

  • Des douleurs abdominales persistantes avec nausées/vomissements justifient une investigation approfondie
  • Des visites répétées aux urgences avec tests initiaux normaux ne signifient pas nécessairement qu’il n’y a rien
  • L’anamnèse complète incluant les antécédents psychiatriques est cruciale pour le diagnostic

Pour les patients avec comportements d’arrachage de cheveux :

  • Avaler des cheveux peut entraîner de graves complications médicales
  • Rechercher un traitement pour la trichotillomanie est essentiel pour la santé physique et mentale
  • Soyez honnête avec les médecins concernant ces comportements – ce sont des conditions médicales, pas des secrets à garder

Pour les familles soutenant leurs proches :

  • Les symptômes comportementaux et physiques sont souvent connectés
  • Une prise en charge globale abordant santé physique et mentale conduit aux meilleurs résultats
  • La récupération nécessite une gestion continue pour prévenir les récidives

Ce cas démontre comment une prise en charge multidisciplinaire impliquant pédiatres, gastro-entérologues, chirurgiens et psychiatres offre la meilleure approche pour les conditions médicales complexes avec composantes comportementales.

Informations sur la source

Titre original de l’article : Cas 36-2024 : Une jeune fille de 16 ans avec douleur abdominale

Auteurs : Garrett C. Zella, M.D., Ali Pourvaziri, M.D., M.P.H., Erica L. Greenberg, M.D., et Maureen M. Leonard, M.D.

Publication : The New England Journal of Medicine, 21 novembre 2024

DOI : 10.1056/NEJMcpc2402499

Cet article vulgarisé est basé sur une recherche évaluée par les pairs des Comptes Rendus de Cas du Massachusetts General Hospital.