Un cas médical complexe : Comprendre l’amaigrissement inexpliqué et les symptômes neurologiques. A35

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Ce cas concerne un homme de 70 ans aux antécédents médicaux complexes, ayant développé une perte de poids importante, une fatigue marquée et des symptômes neurologiques. Après des investigations approfondies, les médecins ont diagnostiqué une infection fongique cérébrale (méningite à cryptocoque) secondaire à un trouble hormonal sous-jacent (syndrome de Cushing). Ce cas illustre l’interaction possible entre plusieurs pathologies et la démarche systématique employée par les cliniciens pour résoudre des énigmes diagnostiques complexes.

Un cas médical complexe : Comprendre l’amaigrissement inexpliqué et les symptômes neurologiques

Table des matières

Présentation du cas

Un homme de 70 ans s’est présenté aux urgences pour des symptômes inquiétants évoluant depuis six semaines. Il souffrait d’une perte complète d’appétit (anorexie), d’une asthénie marquée et d’un amaigrissement involontaire. Son psychiatre avait initialement augmenté son traitement antidépresseur (bupropion) face à une fatigue progressive, mais devant l’aggravation des symptômes, le médicament a été réduit puis arrêté.

Huit jours avant cette hospitalisation, le patient s’était déjà rendu aux mêmes urgences pour une faiblesse musculaire, des céphalées et une perte d’appétit persistante. Des examens d’imagerie avaient alors révélé des anomalies justifiant des investigations complémentaires.

Malgré un traitement initial par antiémétiques et antalgiques pour ses céphalées, son état a continué à se dégrader. Il est retourné à l’hôpital sept jours plus tard avec une fatigue sévère, des troubles du goût (dysgueusie) et une perte de poids de 13,6 kg (environ 30 livres) sur les six semaines précédentes.

Antécédents médicaux et traitements

Le patient présentait plusieurs antécédents médicaux notables. Il avait été traité pour une leucémie à tricholeucocytes (un type de cancer du sang), en rémission depuis sept ans. Il souffrait également d’un trouble dépressif majeur ayant nécessité plusieurs hospitalisations psychiatriques, ainsi que des traitements incluant l’électroconvulsivothérapie et l’implantation d’un stimulateur du nerf vague.

Parmi ses autres pathologies figuraient une obésité traitée par bypass gastrique, une hypertension artérielle et une hypertrophie bénigne de la prostate. Son traitement médicamenteux comprenait du bupropion, de l’escitalopram, de la gabapentine, de la rispéridone, de la tamsulosine et du lisinopril.

Le patient vivait seul en milieu urbain et était majoritairement confiné à domicile en raison de son état de santé déclinant, nécessitant une aide pour les activités quotidiennes. Il ne fumait pas, ne consommait pas d’alcool ni de drogues, et n’avait pas voyagé récemment ni été exposé à des personnes malades.

Constantes de l'examen physique

L’examen a révélé plusieurs anomalies. Sa température était normale (36,3 °C), mais il présentait une hypertension artérielle (136/81 mm Hg), une tachycardie (100 battements par minute) et une tachypnée (24 respirations par minute), malgré une saturation en oxygène normale.

Les signes physiques notables incluaient des ecchymoses disséminées et un amincissement cutané, sans éruption ni pétéchies. Le patient était conscient et capable d’effectuer des tâches mentales, comme énumérer les jours de la semaine à l’envers, sans difficulté lors de l’examen initial.

Résultats des examens biologiques

Les analyses sanguines ont montré plusieurs anomalies significatives. Le patient présentait une hypokaliémie (3,1 mmol/L ; normale : 3,4–5,0) et une hyperglycémie (225 mg/dL ; normale : 70–110). Sa numération sanguine révélait une thrombopénie (91 000/μL ; normale : 150 000–400 000), chronique en lien avec son traitement anticancéreux, et une lymphopénie (570/μL ; normale : 1000–4800).

Parmi les autres résultats notables figuraient une hypocapnie (16 mmol/L ; normale : 23–32), une urémie élevée (28 mg/dL ; normale : 8–25) et des gaz du sang anormaux indiquant une alcalose respiratoire (pH 7,48 avec pression partielle de CO₂ basse). Son hémoglobine glyquée (mesure du contrôle glycémique à long terme) était à 7,2 %, contre 6,2 % un an auparavant.

Les tests pour le VIH, la syphilis, l’hépatite B et l’hépatite C étaient tous négatifs. Les taux de vitamine B₁₂, de cuivre et les tests thyroïdiens étaient normaux.

Examens d'imagerie

Les scanners abdomino-pelviens ont révélé un petit nodule sur la glande surrénale gauche, mesurant 1,9 cm de diamètre. Cette lésion était indéterminée, ce qui signifie que les médecins ne pouvaient pas établir si elle était bénigne ou suspecte sur la seule base des caractéristiques radiologiques.

Les scanners cérébraux initiaux ne montraient aucune anomalie aiguë. Cependant, répétés cinq jours plus tard après l’aggravation de l’état du patient, de nouvelles zones préoccupantes sont apparues. Celles-ci présentaient des zones de diminution de densité dans le noyau caudé droit et le bras antérieur de la capsule interne, ainsi que dans le thalamus latéral gauche, évoquant de possibles lacunes cérébrales (infarctus lacunaires).

Démarche diagnostique

L’équipe médicale a adopté une approche systématique, qualifiée d’« heuristique du puzzle », pour résoudre ce cas complexe. Ils ont commencé par recenser toutes les informations disponibles, puis ont identifié les chronologies clés et les limites du problème.

Plusieurs éléments ont orienté leur réflexion diagnostique. Le patient présentait de nombreuses caractéristiques suggérant un syndrome de Cushing (hypercortisolisme), incluant fatigue, hypertension, modifications cutanées, hypokaliémie et hyperglycémie. Cependant, il manquait des signes typiques comme une prise de poids et une plénitude faciale.

Les résultats très anormaux du liquide céphalo-rachidien ont fourni des indices cruciaux. Celui-ci montrait une hypercellularité (67 cellules/μL ; normale : 0–5), une hypoglycorachie (2 mg/dL ; normale : 50–75), une hyperprotéinorachie (92 mg/dL ; normale : 5–55) et une pression d’ouverture extrêmement élevée (≥58 cm d’eau). Ces résultats orientaient fortement vers une méningo-encéphalite, en particulier d’origine fongique.

L’équipe a reconnu que le syndrome de Cushing supprime le système immunitaire, rendant les patients vulnérables aux infections opportunistes comme la méningite fongique. La combinaison du déséquilibre hormonal et de l’immunosuppression a créé les conditions propices au développement d’une infection sévère.

Diagnostic final

Le diagnostic final était une méningite à cryptocoque causée par Cryptococcus neoformans, survenant dans le contexte d’un syndrome de Cushing non diagnostiqué. Les hémocultures ont finalement isolé des levures, confirmant l’infection fongique.

Le syndrome de Cushing expliquait de nombreux symptômes initiaux du patient, incluant l’amincissement cutané, les ecchymoses, l’hypertension artérielle, l’hypokaliémie et l’hyperglycémie. Le nodule surrénalien découvert à l’imagerie était probablement la source de la production excessive de cortisol.

La méningite à cryptocoque expliquait la détérioration neurologique, les céphalées et les anomalies du liquide céphalo-rachidien. L’immunosuppression causée par l’excès de cortisol a permis à cette infection typiquement opportuniste de s’installer et de progresser rapidement.

Implications cliniques

Ce cas illustre plusieurs implications cliniques importantes. Premièrement, il montre comment les troubles hormonaux comme le syndrome de Cushing peuvent avoir des effets étendus dans tout l’organisme, incluant un affaiblissement du système immunitaire et une vulnérabilité à des infections graves.

Deuxièmement, il rappelle que la perte de poids n’est pas toujours positive : lorsqu’elle est involontaire et accompagnée d’autres symptômes, elle peut signaler des pathologies sous-jacentes sérieuses. La perte de 13,6 kg en six semaines était un signe d’alarme crucial ayant motivé des investigations plus poussées.

Troisièmement, le cas souligne l’importance d’une coordination attentive entre spécialistes pour les patients aux antécédents médicaux complexes. Les antécédents cancéreux, les traitements psychiatriques et l’histoire chirurgicale de ce patient ont tous contribué au défi diagnostique.

Enfin, il montre qu’il faut considérer les infections rares mais graves chez les patients présentant des symptômes neurologiques inexpliqués, particulièrement lorsqu’ils ont des conditions ou des traitements affectant la fonction immunitaire.

Limites

Ce cas clinique présente plusieurs limites à prendre en compte. En tant qu’étude de cas unique, il représente l’expérience d’un patient et peut ne pas s’appliquer à tous les patients présentant des symptômes similaires. La démarche diagnostique a pris du temps, et l’état du patient s’est significativement détérioré avant que le diagnostic final ne soit confirmé.

La présence du stimulateur du nerf vague a empêché la réalisation d’une IRM, qui aurait pu fournir des informations supplémentaires plus tôt. De plus, les multiples conditions médicales et traitements du patient ont créé un tableau clinique complexe, rendant difficile l’isolement des facteurs contributifs individuels.

Enfin, le rapport ne fournit pas d’informations de suivi à long terme, donc nous ignorons comment le patient a répondu au traitement et quel a été son devenir.

Recommandations aux patients

Sur la base de ce cas, les patients devraient considérer plusieurs recommandations importantes. Si vous présentez une perte de poids inexpliquée (surtout une perte rapide de 5 kg ou plus sans effort), une fatigue persistante ou des modifications des fonctions mentales, consultez rapidement un médecin.

Les patients aux antécédents médicaux complexes devraient s’assurer que tous leurs médecins connaissent l’ensemble de leurs conditions et traitements. Ceci est particulièrement important pour les patients avec :

  • Antécédents de cancer ou de traitements anticancéreux
  • Troubles et traitements de santé mentale
  • Chirurgie bariatrique antérieure
  • Multiples pathologies chroniques

Si vous avez des conditions ou prenez des médicaments affectant votre système immunitaire, soyez vigilant aux signes d’infection, incluant céphalées persistantes, fièvre ou modifications de l’état mental. Ne supposez pas que les symptômes sont simplement des effets secondaires de vos conditions ou traitements existants.

Enfin, insistez pour une évaluation approfondie lorsque les symptômes sont incompréhensibles ou ne s’améliorent pas avec les traitements initiaux. Les cas complexes nécessitent souvent du temps, de multiples examens et une collaboration entre spécialistes pour parvenir au diagnostic correct.

Informations sur la source

Titre original de l’article : Cas 13-2025 : Un homme de 70 ans avec amaigrissement, faiblesse et anorexie

Auteurs : Matthew G. Gartland, Anthony R. Russo, Samuel C.D. Cartmell, John S. Albin, Daniel Restrepo

Publication : The New England Journal of Medicine, 8 mai 2025

DOI : 10.1056/NEJMcpc2412518

Cet article adapté aux patients est basé sur une recherche évaluée par les pairs de la série « Case Records of the Massachusetts General Hospital ».